Dans le Pacifique, le frémissement d’un nouveau bras de fer géopolitique. Les îles Salomon veulent créer leur propre armée, au risque d’attiser la rivalité entre la Chine et l’Australie.
Un pari risqué pour la stabilité
Dans un archipel marqué par des décennies de violences ethniques, l’annonce du gouvernement des îles Salomon de vouloir créer une force de défense nationale suscite autant d’espoirs que de craintes.
Le ministre de la Sécurité nationale, Jimson Tanangada, affirme que le projet ne vise pas à militariser le pays, mais à renforcer sa résilience, sa souveraineté et sa capacité à gérer les crises.
L’objectif officiel : combler les lacunes d’une police sous-dotée, notamment en matière de sécurité maritime et de réponse aux catastrophes naturelles. Si elle voyait le jour, cette armée ferait des Salomon le quatrième État du Pacifique à disposer d’une force militaire, après Fidji, Tonga et Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Mais derrière la rhétorique du « nation-building », une question obsède les chancelleries : qui financera et équipera cette nouvelle armée ?
Entre Pékin et Canberra, le dilemme stratégique
Depuis la signature en 2022 d’un accord de sécurité avec la Chine, les Salomon sont au cœur d’un tiraillement géopolitique entre Pékin et l’Australie.
Ce texte permet déjà à la Chine d’envoyer des personnels de sécurité et d’effectuer des escales militaires à Honiara. Pour Canberra et Washington, ce pacte ouvre la porte à une présence militaire chinoise permanente dans le Pacifique.
Selon plusieurs analystes, la création d’une armée pourrait accentuer cette dépendance.
L’économiste Ying Zhu estime que la Chine pourrait apporter « un soutien bien plus conséquent » que l’Australie, tandis que Hideyuki Shiozawa, de la Sasakawa Peace Foundation, prévient :
« Si les liens de défense se renforcent avec Pékin, les Salomon risquent d’être perçues comme un État ennemi par l’Occident. »
Pourtant, l’Australie n’a pas renoncé : elle a promis 190 millions de dollars australiens pour soutenir la police salomonaise. Une bataille d’influence s’installe donc, arme contre chèque, dans un archipel encore marqué par les émeutes de 2021.
Un défi colossal pour un État fragile
Créer une armée professionnelle et apolitique dans un pays de 820 000 habitants reste un défi colossal.
Depuis l’indépendance en 1978, les îles Salomon ont connu instabilité politique, corruption et fractures communautaires profondes, culminant avec les émeutes d’Honiara et l’intervention étrangère « Helpem Fren » (1998-2017).
Le politologue Marc Lanteigne souligne que le gouvernement reste évasif sur qui formera et équipera cette future armée.
Et surtout : que deviendront les forces de police existantes, déjà sous-financées et démoralisées ?
Beaucoup redoutent que l’armée ne serve pas à protéger, mais à contrôler. Dans un contexte où la Chine forme déjà les unités d’élite policières, le spectre d’une militarisation progressive de l’État salomonais inquiète les voisins du Pacifique.















