La France fait face à un fléau sanitaire silencieux : l’AVC, première cause de handicap acquis chez l’adulte.
Et, malgré un premier plan national lancé en 2010, notre système peine encore à protéger les plus vulnérables.
Des avancées, mais un système qui reste en retard sur l’essentiel
En France, 120 000 personnes ont été victimes d’un AVC en 2022, un chiffre qui témoigne de l’ampleur d’une pathologie trop souvent sous-estimée. Le premier plan national de 2010 avait permis des progrès : meilleure connaissance des symptômes, structuration des unités dédiées, montée en compétence des équipes. Mais la réalité est brutale : seulement 50 % des patients ont été hospitalisés en unités spécialisées en 2023, malgré leur rôle déterminant dans la survie.
Le rapport public de la Cour des comptes, publié le 29 octobre 2025, dresse un constat sans détours. L’État n’a pas assuré un pilotage clair des parcours de soins. La question posée par la Cour est simple : « Le parcours global des patients est-il organisé de manière efficace et efficiente ? » La réponse, elle, l’est beaucoup moins : non.
La Cour distingue douze parcours types selon la nature de l’AVC (ischémique dans 80 % des cas, hémorragique pour le reste), la prise en charge en UNV ou USINV, l’accès ou non à une thrombectomie, le passage en soins médicaux et de réadaptation (SMR) et le suivi en ville ou en Ehpad. Une cartographie claire, mais qui révèle des incohérences structurelles indignes d’un pays développé.
La France souffre encore d’un système fragmenté. Et, dans ce domaine, le manque de rigueur coûte des vies et fabrique des séquelles dramatiques.
UNV, SMR : les maillons essentiels, mais inaccessibles pour trop de Français
La Cour des comptes est catégorique : la prise en charge en UNV et, en aval, en SMR est déterminante pour limiter les handicaps. Pourtant, les inégalités d’accès restent flagrantes et profondément injustes.
35 % des patients n’ont pas eu accès aux SMR, alors même que ces services sont conçus pour éviter les séquelles lourdes. Parmi les 75 000 patients retournés à domicile, 17 000 souffrant d’un handicap majeur n’ont pas bénéficié de réadaptation, tandis qu’à l’inverse 10 000 patients au handicap léger ont occupé les places des SMR. La Cour est ferme : il existe un problème structurel d’orientation, conséquence d’un système qui évite de trancher, de hiérarchiser et de prioriser.
Dans un pays qui se prétend attaché à l’équité, laisser les plus fragiles sans réadaptation spécialisée n’est pas seulement une erreur : c’est une faute sanitaire. La Cour rappelle une évidence que certains responsables semblent oublier : les SMR doivent être destinés d’abord aux patients ayant les séquelles les plus lourdes, les autres pouvant être accompagnés par les équipes de ville ou les établissements médico-sociaux.
Cette mauvaise allocation des ressources entraîne des pertes financières massives. Les erreurs de parcours coûtent cher, mais surtout, elles coûtent humainement : retours à domicile sans accompagnement, familles livrées à elles-mêmes, hausse des dépendances évitables.
La Cour recommande donc la relance d’un nouveau plan AVC, articulé autour de trois priorités : prévention, prise en charge aiguë, post-aigu renforcé. Une stratégie de bon sens, trop longtemps repoussée au nom de la gestion quotidienne.
Six leviers concrets pour sauver 40 800 patients et 204 millions d’euros
Sans idéologie, mais avec précision, la Cour liste six pistes d’amélioration. Ce sont des mesures simples, pragmatiques, qui permettraient d’améliorer la vie de 40 800 patients et d’économiser 204 millions d’euros (24,4 milliards de francs CFP). Encore faut-il avoir le courage politique de les appliquer.
Optimiser les durées de séjour en USINV et UNV
Pas question de raccourcir à tout prix, mais d’ajuster selon les besoins réels, sans excès administratif ni lenteur bureaucratique.
Accélérer les transferts vers les SMR
Trop de patients stagnent en court séjour faute de places ou de décisions rapides. La France doit retrouver le sens de l’efficacité.
Adapter les durées de séjour en SMR
Certains y restent trop longtemps, d’autres pas assez. La clé : réévaluer objectivement les besoins, sans clientélisme, sans improvisation.
Renforcer l’hospitalisation à domicile
Un levier sous-exploité, alors qu’il permet un retour encadré, durable et moins coûteux.
Fluidifier les passages SMR–Ehpad
Aujourd’hui, des dizaines de patients attendent des places, parfois des semaines, faute d’anticipation. Résultat : lits bloqués, parcours cassés.
Diminuer les durées en soins aigus grâce à des équipes coordonnées
L’enjeu : mieux coopérer, mieux transmettre, mieux organiser. Le contraire de la culture du silo encore trop présente dans nos hôpitaux.
Ces mesures ne relèvent pas de la révolution, mais du bon sens. Celui qui devrait guider toute politique publique.
L’AVC n’est pas seulement un drame médical : c’est un test de la capacité de la France à assumer la responsabilité de protéger les siens, à organiser un système clair, efficace et juste. La Cour des comptes ne demande pas la lune : elle exige le retour d’une politique de rigueur, de priorisation, d’autorité sanitaire.
Dans un pays où l’on parle souvent d’égalité, il est temps de rappeler une vérité simple : l’égalité commence par la priorité donnée à ceux qui en ont réellement besoin. Et cela suppose des choix, de la fermeté et une volonté politique assumée.
La France a déjà réussi à bâtir un plan AVC en 2010. Elle peut, si elle le veut, faire beaucoup mieux en 2025.















