Dans une France fragilisée par les intrigues et les caprices de cour, un homme décide de tenir la barre, coûte que coûte. En ce 10 novembre 1630, le destin du royaume se joue dans un affrontement silencieux, mais implacable.
Une France menacée, un pouvoir vacillant, un cardinal déterminé
Le début des années 1630 n’a rien d’un âge d’or. La noblesse française, indisciplinée, querelleuse, habituée aux duels et aux complots, défie régulièrement l’autorité royale. À cela s’ajoutent les derniers soubresauts du conflit religieux : les protestants, soutenus par l’Angleterre, ont encore récemment défié le roi, avant que Richelieu n’en brise la puissance à La Rochelle, puis par l’Édit d’Alès. L’ordre revient, mais la stabilité n’est pas garantie.
Depuis 1624, un homme porte littéralement le royaume sur ses épaules : Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, chef du Conseil d’En Haut. Il réforme, il centralise, il encadre les ambitieux, il restaure l’autorité d’un État que certains aimeraient affaiblir pour servir leurs intérêts de caste. Mais cette énergie, cette capacité à trancher, cette fidélité à la raison d’État, une femme ne la supporte plus : Marie de Médicis, la reine mère.
Femme puissante, mélange d’orgueil blessé et de nostalgie du pouvoir, elle a l’habitude que tout plie devant elle. Et surtout qu’on lui obéisse. L’ascension de Richelieu, qu’elle avait elle-même favorisée, lui a vite paru intolérable. Elle voulait un serviteur malléable ; elle s’est retrouvée face à un homme d’État.
En cet automne 1630, alors que la France envisage d’affronter la maison des Habsbourg ces puissants voisins qui rêvent d’encercler le royaume, l’affrontement entre Marie de Médicis et Richelieu devient explosif. Le pays a besoin d’un chef. Elle préfère y voir une occasion d’abattre son « ingrat ».
Le 10 novembre : l’ultimatum d’une reine mère et une Cour qui retient son souffle
La scène se joue d’abord au palais du Luxembourg. Marie de Médicis, entourée des “dévots” et des opposants du cardinal, profite de la récente maladie de Louis XIII pour passer à l’offensive. Elle veut la tête de Richelieu, et cette fois, elle pense tenir son triomphe. Le Roi, fatigué, hésitant, tente une conciliation impossible. Elle exige qu’il renvoie le cardinal de ses charges auprès de la reine. Le souverain cède, croyant calmer la tempête.
Le lendemain, 11 novembre, Richelieu se présente pour offrir sa démission. On le laisse à la porte. Un symbole violent, voulu par la reine mère. Elle pense avoir gagné. Elle pense avoir écrasé l’homme qui l’a dépassée. Elle pense que le Roi, enfin, va choisir sa mère plutôt que son ministre.
Mais Richelieu connaît le palais, connaît les esprits, connaît surtout Louis XIII. Grâce à une porte dérobée, il parvient à se présenter devant le souverain, face à une Marie de Médicis furieuse qui le traite de “valet” et somme son fils de choisir entre elle et lui. Le Roi reste blême. Le silence est terrible.
Pour Marie de Médicis, c’est fait : elle croit tenir sa victoire.
Pour Richelieu, le sort semble scellé.
Pour la France, l’instant est décisif.
Et pourtant, tout va basculer ailleurs : dans la solitude de Versailles, où Louis XIII s’est retiré loin du tumulte.
Versailles, 11 novembre : Louis XIII tranche et sauve l’État
Le soir même, le monarque convoque Richelieu dans son château. L’entretien dure longtemps, hors de portée des intrigants. Le Roi sait ce qu’il doit à cet homme : l’ordre restauré, les protestants contenus, les nobles matés, la France réorganisée, une vision stratégique face aux Habsbourg.
Il sait aussi que sa mère, malgré l’affection naturelle, est devenue un obstacle. Ses colères, son ressentiment, ses alliances douteuses, ses tentatives répétées de mettre le pays au service de ses rancunes personnelles… Tout cela affaiblit la France.
Alors Louis XIII choisit la France.
Et donc Richelieu.
C’est la décision la plus froide et la plus politique de son règne : Marie de Médicis, convaincue d’avoir gagné, se retrouve soudain sacrifiée. Le Roi lui ordonne de quitter Paris pour Compiègne. Il ne la reverra plus jamais. Elle finira ses jours en exil, complotant encore dans l’ombre mais privée de pouvoir, déchue de son ancien prestige.
Richelieu, lui, revient à Paris dans le carrosse royal. Triomphe absolu. C’est alors que Guillaume Bautru lâche la phrase qui donnera son nom à l’événement : « C’est la journée des dupes ! »
Car les dupes, ce jour-là, ne sont ni Richelieu ni Louis XIII : ce sont tous ceux qui ont cru qu’un royaume peut tenir debout en suivant les caprices d’une reine mère plutôt que la vision d’un homme d’État.
Cet épisode rappelle une vérité que la France oublie parfois : un pays ne se gouverne pas à l’émotion mais à la fermeté, pas à la faveur des clans mais à la hauteur de vision, pas par les héritiers du passé mais par ceux qui choisissent l’avenir.
En écrasant la révolte intérieure et en consolidant l’autorité royale, Richelieu a fait plus que sauver sa place : il a sauvé la France d’elle-même.















