TRIBUNE
Le débat faussé sur la vie chère
Depuis vingt ans, le débat tourne en rond. À chaque flambée des prix, chacun a droit à son procès : les commerçants seraient trop gourmands, les transporteurs feraient exploser les factures, les revendeurs exagéreraient leurs marges. Le récit est confortable, il rassure, il évite surtout de poser la seule question qui dérange : qui, en Nouvelle-Calédonie, prélève le plus sur chaque produit importé ?
Ce que l’on oublie, c’est que la Nouvelle-Calédonie dispose de son propre système douanier, construit localement, voté localement, et ajusté localement. Depuis 2023, il repose sur deux textes : le Code des douanes de la Nouvelle-Calédonie (CDNC), relevant des compétences attribuées au territoire par l’article 22 de la loi organique de 1999, et le Code des douanes applicable en Nouvelle-Calédonie (CDANC), sous compétence de l’État.
Mais pour tout ce qui concerne la fiscalité douanière, les droits à l’importation et les redevances locales, ce sont les autorités calédoniennes qui fixent les règles et perçoivent les montants.
Le t-shirt à 4 900 F devenu un produit à 9 200 F
J’en ai fait l’expérience récemment, et cette anecdote résume parfaitement l’absurdité du système.
Un t-shirt acheté en ligne, parfaitement banal, coûtait 4 900 francs. Les frais de port le faisaient grimper à 6 400 francs, une hausse logique liée à l’éloignement.
Puis vient l’étape décisive : l’arrivée en Nouvelle-Calédonie. À la réception, une facture tombe : 2 901 francs de taxes, droits, redevances et frais divers.
Ces 2 901 francs représentent 60 % de la valeur du produit, avant même qu’il n’arrive dans une boutique, avant qu’un commerçant ne prenne une marge, avant qu’un transporteur local n’intervienne.
Ce n’est pas un service rendu, ce n’est pas une transformation du produit, ce n’est pas une valeur ajoutée. C’est un prélèvement automatique, mécanique, imposé.
Résultat : le t-shirt, acheté 4 900 francs, finit à 9 200 francs, deux fois son prix d’origine.
Et il faut le dire sans détour : aucun commerçant n’a touché un franc sur cette différence. Aucun revendeur n’a mis une marge. Aucun transporteur n’a gonflé sa facture.
L’intégralité de cette augmentation provient du système douanier calédonien et de ses taxes locales.
Un système officiellement “mixte”, mais entièrement payé par les Calédoniens
Depuis la loi organique de 1999, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de fiscalité, de droits et taxes à l’importation, de régimes douaniers et de recouvrement. Les textes sont clairs : la politique douanière applicable au commerce extérieur relève largement du territoire.
L’État ne conserve qu’un rôle régalien : contrôle des infractions, structure nationale, cohérence du cadre.
Dans les faits, les taxes qui écrasent les importations et renchérissent la vie quotidienne sont d’origine calédonienne, créées ici, votées ici, encaissées ici.
On ne peut donc pas accuser Paris ni chercher des responsabilités à 20 000 kilomètres.
La vie chère qui frappe chaque foyer calédonien est, en très grande partie, le résultat direct des choix fiscaux locaux.
Comment demander aux commerçants d’être “raisonnables” ?
Dans ce contexte, pointer du doigt les boutiques de Nouméa relève de l’aveuglement. Elles subissent les mêmes taxes confiscatoires, auxquelles s’ajoutent des coûts logistiques multipliés par l’insularité. Elles doivent payer leurs loyers, leurs salaires, leurs charges, tout en essayant de dégager une marge suffisante pour survivre.
Accuser les commerçants d’être responsables de la vie chère, alors que le système douanier prélève avant eux et plus qu’eux, relève de l’inversion totale du réel.
Le problème n’est pas technique. Il est politique
Les débats sur la protection du tissu local ou la souveraineté économique sont légitimes. Mais aucune logique ne peut justifier qu’un t-shirt à 4 900 francs se transforme en un produit à 9 200 francs sans aucune valeur ajoutée.
Ce n’est plus de la régulation, ni de la stratégie économique : c’est un modèle devenu fou, un prélèvement qui ne protège rien et ne stimule rien, mais qui asphyxie tout.
La vie chère a un nom. Elle a surtout un responsable
Il est temps de cesser les faux débats : Si les prix explosent en Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas à cause des commerçants, ni des transporteurs, ni des revendeurs.
C’est parce que notre propre système douanier, conçu ici, organisé ici, voté ici, prélève beaucoup trop de la valeur d’un produit avant même qu’il n’atteigne un rayon.
La vie chère n’est pas une fatalité. C’est une politique publique. Et tant qu’elle ne sera pas repensée, rien ne changera.
Je terminerai cette tribune par un mot à l’attention de notre président du gouvernement local. Pour moi, acheter ce t-shirt représentait une petite réussite personnelle. Le plaisir de m’offrir un cadeau bien mérité, à un moment où nous travaillons tous d’arrache-pied pour nous en sortir.
Et vous, de votre côté : avez-vous redressé nos finances ? Avez-vous rendu la vie des Calédoniens meilleure qu’elle ne l’était avant votre arrivée ?
Eh bien, cher Monsieur, sachez que, fidèle à la tradition socialiste, vous taxez ma réussite pour financer votre échec.

















