Alors que les puissances extérieures redoublent d’intérêt pour la région, le régionalisme du Pacifique vacille. Mais selon l’universitaire Sione Tekiteki, la plus grande menace ne vient pas de l’extérieur. Elle est interne. Et elle porte notre nom.
Le régionalisme fissuré de l’intérieur
À l’heure où le Pacifique est de plus en plus convoité — entre projets miniers controversés en haute mer et jeux d’influence géopolitiques — les nations insulaires peinent à parler d’une seule voix. Dans une tribune lucide, Sione Tekiteki, ancien haut responsable du Forum des îles du Pacifique, pointe du doigt une vérité dérangeante : ce ne sont pas les États-Unis, la Chine ou l’Australie qui affaiblissent le régionalisme. C’est nous-mêmes.
Derrière les beaux discours de solidarité, la réalité est tout autre. Les désaccords internes, la dépendance à l’aide extérieure et une architecture régionale devenue complexe freinent toute dynamique collective. « Nous avons l’impression de collaborer, mais nous nous contentons souvent de nous gérer les uns les autres », résume Tekiteki.
Une stratégie 2050 en panne d’unité
En 2019, les dirigeants du Pacifique ont lancé une refonte ambitieuse de leur architecture régionale, censée refléter la Stratégie 2050 pour le continent bleu. Mais six ans plus tard, la réforme piétine. Un nouveau cycle de consultations est en cours, mené par un groupe de haut niveau, pour tenter de redéfinir ce que pourrait — et devrait — être l’unité du Pacifique.
Mais cette quête d’unité se heurte à un paysage géopolitique plus tendu que jamais. Tandis que les partenariats militaires se multiplient (AUKUS, accords de renseignement), des voix s’élèvent pour alerter : la région est de plus en plus militarisée. Et cette surenchère sécuritaire risque de compromettre ce que le régionalisme pacifique promettait : coopération, sécurité humaine et durabilité.
Une transformation qui doit partir de nous
Pour Sione Tekiteki, la solution n’est pas uniquement structurelle. Elle est avant tout relationnelle et politique. Cela implique d’oser les conversations difficiles : influence étrangère, décolonisation, gouvernance des ressources, fractures internes. Trop souvent évitées, ces discussions sont pourtant cruciales si la région veut construire un projet commun crédible.
Le régionalisme ne doit pas être un rituel politique vidé de son sens, mais un choix quotidien porté par des convictions partagées. « Sans volonté réelle, ces rassemblements deviennent de simples vitrines. Le véritable régionalisme se construit dans les compromis, les relations, et les actes », conclut-il.
Le Pacifique ne manque pas d’enjeux ni de défis. Mais son avenir ne dépend pas uniquement des aides extérieures ou des réformes techniques. Il dépend, avant tout, de la capacité des peuples de la région à croire en leur propre pouvoir collectif.