Le secteur nautique calédonien souffre : la crise requin, plus encore que les émeutes, a profondément affecté les usages et l’économie maritime locale.
Depuis plusieurs années, le secteur du nautisme en Nouvelle-Calédonie traverse une zone de turbulences sévères. Si la crise COVID, la fermeture des usines ou les émeutes de 2024 ont successivement désorganisé l’économie locale, c’est bien la “crise requin” qui a imprimé un coup d’arrêt profond et durable à la plaisance. Frilosité des plaisanciers, chute des ventes de bateaux, désaffection des visiteurs étrangers : les effets sont multiples et préoccupants.
Une baisse nette de l’activité en mer
Les acteurs du secteur sont unanimes : la fréquentation des plans d’eau calédoniens est en recul. Face à la présence croissante de requins sur le littoral, de nombreux plaisanciers préfèrent renoncer aux sorties. Une tendance observable depuis plusieurs années, qui a redessiné les comportements : sorties mutualisées entre amis pour limiter les frais, report des usages vers des zones réputées plus sûres, voire abandon pur et simple de la pratique.
Cette frilosité se ressent dans toute la chaîne économique : moins de navigation, c’est moins d’entretien, moins de consommation de carburant, moins d’achat d’équipements, et moins de vie sur les marinas.
Un bateau qui ne sort pas, c’est une chaîne d’activité qui s’arrête
résume un professionnel.
Une industrie du bateau à l’arrêt
Pour les vendeurs de bateaux, la crise requin a précédé et aggravé le déclin du marché. Déjà ralenti par les incertitudes économiques et le décrochage du pouvoir d’achat, le secteur a vu chuter les ventes de modèles neufs, en particulier les unités de plus de 10 mètres. La clientèle se replie sur l’occasion, les achats se raréfient, les investissements dans le neuf deviennent marginaux.
En parallèle, les bateaux sont moins bien entretenus. Les produits de nettoyage, les peintures antifouling, les pièces techniques voient leurs ventes baisser. Les carénages sont différés, et certains bateaux sortent dans un état préoccupant. Une tendance confirmée sur les aires de carénage, où l’on constate un vieillissement accéléré du parc local.
Un frein majeur au développement du tourisme nautique
Plus préoccupant encore : la crise requin a mis un coup d’arrêt au tourisme nautique international, pourtant identifié comme un levier de croissance. Les rallyes australiens et néo-zélandais ne viennent plus, les bateaux étrangers évitent désormais la destination calédonienne, et les visiteurs à fort pouvoir d’achat préfèrent Fidji ou Tahiti.
Cette désaffection prive la Nouvelle-Calédonie d’une manne économique importante : ces touristes dépensaient massivement en équipements, en travaux de maintenance, en alimentation, voire en hébergement, dans le cadre de longues escales. À cela s’ajoute la perte du régime de détaxe à l’export pour les navires étrangers, un argument commercial en moins face à la concurrence régionale.
Un enjeu stratégique pour l’avenir maritime
La crise requin a donc des effets économiques tangibles et profonds, bien au-delà de la seule inquiétude sécuritaire. Elle pénalise à la fois l’usage privé, les pratiques de loisirs, les entreprises nautiques, mais aussi l’attractivité internationale du lagon.
Les professionnels appellent aujourd’hui à une réponse coordonnée des autorités : mieux encadrer les zones de navigation, restaurer une fiscalité attractive pour les visiteurs étrangers, et surtout communiquer de manière claire et fiable sur les risques réels et les zones sécurisées. Car le potentiel touristique de la Nouvelle-Calédonie est immense, mais sous-exploité.
Le ralentissement du nautisme calédonien n’est pas un simple effet conjoncturel. La crise requin en est l’un des éléments déclencheurs les plus puissants, avec des répercussions durables sur l’économie maritime, la sécurité perçue et l’image du territoire. Relancer la plaisance passera nécessairement par une réponse structurée à ce phénomène, au risque de laisser la mer calédonienne… sans navigateurs.