Ils sont lycéens, parfois collégiens, et certains cumulent déjà des dizaines de milliers de vues sur leurs vidéos. Pourtant, leurs parents n’en savent rien. Sur WhatsApp, ces adolescents ont trouvé un nouveau terrain d’expression et de viralité, à l’abri des regards parentaux. Grâce à la fonctionnalité « Chaînes », l’application est devenue un véritable réseau social bis, sur lequel fleurissent contenus humoristiques, vidéos courtes et micro-influence.
Un réseau discret mais puissant
Alors que TikTok ou Instagram sont dans le collimateur des parents et des établissements scolaires, WhatsApp séduit par sa discrétion. Depuis l’introduction de la fonction « Chaînes » en septembre 2023, la messagerie de Meta est devenue un lieu d’échanges de contenus massivement consultés… mais peu surveillés. Contrairement aux plateformes classiques, ces chaînes ne sont pas visibles dans les profils publics, et leur accès est plus difficile à contrôler.
Des vidéos de sketchs, des extraits de lives, ou encore des réactions à l’actualité scolaire s’y propagent à grande vitesse. Les ados y publient anonymement ou sous pseudo, dans un environnement perçu comme « hors radar parental », ce qui renforce l’attrait de cette forme d’expression.
Une viralité à l’insu des familles
Le sentiment d’autonomie est central : pas de likes visibles, pas de commentaires publics, juste une audience et des statistiques — une dynamique qui rappelle les débuts de YouTube ou Snapchat.
Cette viralité silencieuse peut aussi inquiéter. Les établissements scolaires commencent à voir émerger des contenus moqueurs ou dégradants, ciblant d’autres élèves ou des professeurs. Des dérives qui restent très difficiles à tracer ou modérer, l’anonymat étant souvent la norme.
Témoignage de Yanis, 14 ans, utilisateur de WhatsApp Chaînes :
J’ai commencé à poster sur WhatsApp un peu par hasard. Au début, c’était juste pour rigoler avec mes potes. On faisait des petites vidéos sur les profs ou des sketchs sur les devoirs… Et puis un jour, une vidéo a fait genre 7 000 vues en deux jours. C’est là que j’ai compris que c’était pas juste pour nous. Ce que j’aime, c’est que c’est tranquille. Y’a pas les parents, pas les profs, pas les grands qui viennent dire “fais pas ci, fais pas ça”. Sur Insta ou TikTok, tu sens qu’il y a toujours quelqu’un qui te regarde, qui juge. Là, c’est entre nous. Mes parents pensent que je vais sur WhatsApp juste pour discuter avec la famille ou les copains de classe. Ils se doutent pas que j’ai une chaîne avec presque 5 000 abonnés. Et je préfère comme ça, sinon ils voudraient tout contrôler. On a trouvé notre coin à nous. C’est pas méchant ce qu’on fait. Mais je sais qu’il y en a qui abusent. Moi j’essaie de pas insulter, pas afficher des gens. Mais tout le monde fait pas pareil. C’est un peu la jungle parfois.
L’influence change de forme… et d’endroit
WhatsApp, longtemps cantonné au rôle d’outil de messagerie, s’impose désormais comme un espace de création à part entière. Des jeunes s’en servent aussi pour tester des formats vidéos, développer des projets créatifs, ou faire circuler des blagues de cour de récré à l’échelle nationale.
Les professionnels de l’éducation, eux, s’inquiètent d’une forme d’influence hors contrôle, dans un cadre où les parents sont totalement absents. « C’est une autre génération de créateurs, qui ne cherche pas la validation des adultes ni les codes classiques de la notoriété », résume une chercheuse en sociologie numérique.
Pour les plateformes, cette évolution confirme un tournant : les jeunes réinventent les réseaux sociaux… même sur les messageries.