La pire récession depuis 30 ans
Le mot n’est pas écrit dans le rapport. Mais tout y conduit : 2024 aura été une année de basculement pour l’économie calédonienne. Le PIB chute de 10 à 15 %, selon les données du partenariat CEROM. Du jamais vu en trente ans. La Nouvelle-Calédonie ne sort pas simplement affaiblie des émeutes du 13 mai. Elle en sort fracturée économiquement.
Les indicateurs sont implacables : la consommation intérieure plonge, les retraits bancaires s’effondrent, l’investissement se fige. La confiance est brisée, et avec elle le tissu économique du pays. Le climat des affaires est au plus bas, bien plus qu’en 2021, au plus fort du Covid. L’économie calédonienne n’a pas encaissé une crise : elle a encaissé un choc systémique.
Nickel, emploi, tourisme : les piliers s’effondrent
Le nickel est à l’agonie. 50 % de production en moins, 52 % d’exportations perdues. La fermeture de KNS, les blocages de la SLN, l’arrêt de Prony Resources : le secteur a subi une paralysie sans précédent. Or ce métal pèse encore 9 exportations sur 10. Sa déroute entraîne avec elle toute la chaîne productive.
Le BTP n’est guère mieux loti. La consommation de ciment est à son plus bas niveau depuis 1995. C’est tout un secteur qui s’est arrêté net. L’emploi salarié privé a reculé de 17,2 %, soit 11 500 postes détruits. Un chiffre vertigineux pour une population active déjà sous tension.
Quant au tourisme, la dynamique de reprise s’est évaporée en quelques jours. Fermeture de l’aéroport international, arrêt brutal des vols internationaux, annulations en cascade : même les croisiéristes ne sauvent pas la saison. Le territoire est à nouveau coupé du monde, et la Calédonie touristique reste un mirage.
Un territoire sous perfusion
L’État a tenu l’économie à bout de bras. En 2024, 209 milliards XPF ont été injectés par la France en transferts publics. Cela représente près de 20 % du PIB. À cela s’ajoutent 70 milliards d’aides exceptionnelles après les émeutes, et 50 milliards pour tenter de sauver la filière nickel. Sans ces flux massifs, l’effondrement aurait été total.
Mais derrière cette aide vitale, les signaux d’alerte se multiplient. Les recettes fiscales chutent : -26 % sur les importations, -9 % sur les carburants. Les finances publiques locales s’épuisent, les comptes sociaux restent déficitaires. Et l’endettement atteint 25 % du PIB, contre 10 % dix ans plus tôt.
La situation est désormais claire : la Calédonie ne tient que par la solidarité nationale. Et cette dépendance grandissante pose une question politique : le territoire peut-il encore prétendre à l’autonomie économique ?
Un tournant historique, au-delà des chiffres
Le rapport 2024 de l’IEOM n’est pas seulement un état des lieux. C’est un signal. L’économie calédonienne est entrée dans une zone rouge : celle où les fragilités structurelles rencontrent les chocs politiques, où les modèles anciens s’effondrent, et où la reconstruction ne peut plus attendre.
Sans vision économique commune, sans sécurité retrouvée, sans réformes structurelles profondes, le territoire s’enfoncera. Et cette fois, ce ne sera pas la faute du nickel. Ni de Paris. Ni des importations. Ce sera la faute de l’inaction.