TRIBUNE
Le 13 mai 2024, tout a changé.
Certains, aujourd’hui, nous disent qu’il faudrait « tourner la page ». Qu’on ne va pas « en reparler pendant des années ». Que « c’est du passé », et que « le pays doit se reconstruire ».
Mais ce sont souvent les mêmes qui, chaque jour, depuis plus de quarante ans, nous parlent de 1853, de 1878, de 1946, et de toutes les dates censées prouver que notre seule présence ici est un crime.
Eh bien non. Nous n’oublierons pas. Pas plus que vous.
Mais à la différence de vous, nous n’en ferons pas un slogan. Nous n’en ferons pas une posture. Nous n’en parlerons presque plus. Parce que c’est entré dans notre chair. Et parce qu’à partir de maintenant, nous allons faire discrètement. Sans bruit. Sans colère. Sans chercher à convaincre.
Ce que nous, non-Kanaks, allons désormais faire — et que nous avons déjà commencé. Nous sommes européens, asiatiques, métis, polynésiens, wallisiens, futuniens.
Nous ne formons pas une ethnie, ni une idéologie. Mais une communauté de destin.
Une majorité sociale que vous avez voulu humilier, rejeter, effrayer. Nous n’avons pas répondu. Nous avons encaissé.
Mais à présent, nous retirons notre consentement. Nous ne réclamerons rien. Nous ne manifesterons pas. Nous ne supplierons pas.
Nous n’écrirons plus de tribunes ouvertes adressées à « nos frères kanaks ». Car le lien que vous avez rompu, nous ne chercherons plus à le restaurer.
Nous allons simplement nous retirer.
Pas tous. Pas tout de suite. Mais assez pour que cela se voie. Assez pour que cela pèse.
Nous sortirons de vos écoles, où nos enfants ne sont plus les bienvenus. De vos institutions, où l’on recrute selon le nom, non selon le mérite. De vos débats publics, où toute parole non indigéniste est taxée de racisme. De vos programmes scolaires, où notre histoire est, selon vous, un poison à effacer. De vos discours, où nous sommes les « héritiers à rééduquer » ou les « profiteurs à expulser ».
Nous ne ferons pas de bruit.
Nous vous laisserons ces mots, ces slogans, cette colère.
Et pendant ce temps, nous ferons autre chose.
Nous créerons.
Nous bâtirons. Des écoles libres. Des entreprises sobres. Des réseaux solides.
Nous chercherons nos capitaux ailleurs. Nos talents ailleurs. Nos alliés ailleurs.
Nous cultiverons le réel.
Nous protégerons les nôtres. Nous agirons par instinct. Par survie. Par intelligence.
Et pendant que les derniers boomers et que les membres de la caste répéteront qu’il faut « retisser du lien »,
pendant que les sociologues subventionnés parleront d’inclusion et de « dialogue républicain », le vrai pays se sera déplacé.
Ce que vous appelez apartheid, nous l’appellerons désormais séparation salutaire.
Car nous ne voulons ni vous dominer, ni vous punir, ni vous convaincre.
Nous voulons juste vivre sans être haïs. Et comme vous ne nous offrez plus cette possibilité, alors nous ne reviendrons plus vers vous.
Ce n’est pas un manifeste politique. C’est un constat biologique. Un réflexe collectif d’autodéfense.
Vous nous avez désignés comme les ennemis. Alors nous avons cessé d’être vos alliés.
Nous ne sommes pas vos colons.
Et nous ne serons pas vos prisonniers.
Vous avez choisi de marcher vers l’exclusion ? Alors nous prendrons les chemins de la construction.
Mais sans vous.
En silence.
En paix.
Et cette fois, irréversiblement.