Un Kunié impliqué dans un vaste trafic de cocaïne entre l’île des Pins et Nouméa affirme que certains acheteurs travailleraient… au tribunal.
Une affaire de cocaïne qui secoue la justice calédonienne
L’affaire aurait pu passer inaperçue dans la liste déjà longue des trafics en Nouvelle-Calédonie. Mais cette fois, un des protagonistes met en cause le cœur même de l’appareil judiciaire. Ce pêcheur de 59 ans, arrêté fin mai après le démantèlement d’un réseau de cocaïne entre l’Île des pins (Kunié) et Nouméa, a demandé sa remise en liberté. Devant le tribunal correctionnel, il dénonce des zones d’ombre : selon lui, les enquêteurs auraient délibérément écarté des éléments gênants, notamment son audition où il affirmait que certains clients étaient « du tribunal ».
Ce prévenu, détenu au Camp-Est depuis plus d’un mois, évoque une audition « retirée du dossier » et accuse un officier de police judiciaire d’avoir supprimé les passages incriminants. Il dit avoir dénoncé un deuxième circuit parallèle, cette fois parmi les résidents de la marina de Nouméa. Des allégations graves, mais sans preuve solide, selon le président du tribunal. Le procureur parle, lui, « d’insinuations lourdes » et demande le maintien en détention. La demande de libération a été rejetée.
Une route maritime idéale pour les trafiquants
L’enquête a mis au jour une véritable filière maritime entre Kunié et Nouméa. Le point de départ : un ballot de cocaïne découvert en mer par des pêcheurs. Au lieu d’alerter les autorités, ces derniers ont décidé de vendre la drogue, en organisant des allers-retours réguliers entre l’île des Pins et la Grande Terre. Résultat : 43 kilos de poudre blanche saisis, et douze interpellations. Le procès de cinq prévenus est prévu pour le 22 juillet.
Mais au-delà de ce trafic local, c’est la position stratégique de la Nouvelle-Calédonie sur la route des narcos internationaux qui inquiète. Entre la Colombie et Sydney, les eaux du Pacifique sud sont devenues un corridor attractif. Des yachts venus d’Australie jettent l’ancre dans le lagon de Kunié, sans faire l’objet d’un contrôle systématique, profitant du faible dispositif de surveillance. La brigade de gendarmerie locale, seule sur place, fait face à une situation impossible.
D’après les douanes, plusieurs voiliers suspectés de transporter de la drogue ont déjà utilisé la zone calédonienne comme escale discrète. Ce qui soulève une question brûlante : certains habitants de l’île aident-ils, délibérément ou non, les trafiquants à passer inaperçus ?
Une drogue banalisée dans le Grand Nouméa
Cette affaire n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une tendance de fond observée ces deux dernières années : l’arrivée massive de drogues dures dans la région. En janvier, 1,5 tonne de cocaïne a été saisie par les forces françaises en Polynésie, confirmant l’existence d’une nouvelle route maritime partant d’Amérique latine et visant l’Australie via les territoires français. Les marges y sont gigantesques : un kilo de cocaïne acheté 1 200 euros peut être revendu jusqu’à 100 000 euros à Sydney.
En Nouvelle-Calédonie, les services de l’État, souvent silencieux, ont pourtant mobilisé des moyens considérables : frégate, patrouilleur, avion Gardian, hélicoptères PUMA et Alouette III, douaniers, fusiliers marins. Une démonstration de force qui vise à rassurer les partenaires régionaux australiens et néo-zélandais, eux aussi en alerte.
Mais malgré ces efforts, la cocaïne circule de plus en plus dans le Grand Nouméa. Soirées privées, jeunesse dorée, consommation festive : la drogue s’installe dans les cercles privilégiés. La MDMA, le LSD et même une fausse « cocaïne synthétique » circulent de plus en plus dans les clubs. Le gramme de coke se vend entre 20 000 et 30 000 francs, deux fois moins cher qu’il y a dix ans.
Témoignage de François, un consommateur occasionnel :
Aujourd’hui on trouve encore facilement et à petit prix (20 000 F le gramme) de la Coke à Nouméa. On s’acharne sur le vieux monsieur de l’île des Pins, mais pendant ce temps d’autres continuent leur trafic.
François ajoute :
Cette cocaïne est presque pure, ça crée une dépendance rapide. Moi, je consomme depuis plus de 20 ans, j’ai rarement eu un produit de cette qualité.
Des propos qui illustrent une réalité connue, mais rarement exposée. Dans cette guerre opaque contre les cartels, la drogue devient une routine banalisée, pendant que certains réseaux restent intouchables.