Arrivé sans un sou, Henry Fairbank aurait pu sombrer. Il a préféré écrire l’une des plus belles épopées de Nouvelle-Calédonie.
De l’Europe aux mines : un départ sans filet
1954. Un jeune homme, sans argent et sans repères, débarque à Nouméa. À seulement 23 ans, Henry Fairbank a tout perdu sur le bateau. Volé. Ruiné. Il ne lui reste que sa ceinture noire de judo et une volonté de fer.
C’est justement sur le tatami que se joue sa première chance : des rencontres qui lui ouvriront les portes d’un emploi et d’un toit.
Il commence comme ajusteur-tourneur pour une entreprise de nickel. Mais très vite, la ville l’ennuie. Trop de bruit, trop de règles. La Brousse, elle, lui tend les bras. Une famille influente l’envoie gérer un comptoir à Tiébaghi, un petit commerce généraliste où l’on vend tout, de l’allumette au whisky.
Le jour, il tient boutique. La nuit, il enflamme les pistes. Avec un ami batteur, il fonde le duo Henry et Désiré. Accordéon, fût de batterie bricolé, ambiance de feu. Le jeune homme se découvre une âme d’artiste.
Nouméa, l’île des Pins et les débuts du luxe
Fin des années 50. Henry redescend sur Nouméa. Il devient tour à tour plongeur, rouleur, moniteur de ski nautique, chauffeur et barman. Polyvalent, passionné, il cherche toujours « un peu sa voie ».
Il la trouve lorsqu’on lui propose un nouveau défi : l’île des Pins, la pêche à la langouste pour les clients d’un hôtel.
À force d’énergie, il grimpe les échelons. Il devient le bras droit du patron du Relais de Kanuméra, véritable perle de l’île.
Là, le dimanche, les avions privés déposent les Calédoniens aisés. Le reste du temps, ce sont les Australiens fortunés qui débarquent, valises pleines et envies d’exotisme.
Henry séduit la clientèle avec ses manières, sa gentillesse, son sens de l’hospitalité. Le baisemain devient sa signature.
Témoignage de Jacques M., ancien stagiaire devenu hôtelier :
Sans Henry, je ne serais jamais devenu ce que je suis aujourd’hui. Je l’ai rencontré au Koulnoué, en 1983. J’étais un gamin de 19 ans, sans diplôme, sans avenir tracé. Il m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Ici, on n’attend pas le destin, on le construit à la main.” Il m’a tendu une pelle, et c’est comme ça que j’ai commencé. Une pelle pour la piscine, une main pour la plonge, un sourire pour les clients.
Henry, c’était un meneur sans costume, un patron qui bossait plus que ses employés, mais qui savait te regarder droit dans les yeux. À l’époque, il faisait tout : la cuisine, l’accueil, les réservations, le taxi jusqu’à l’aérodrome. Il était partout. Et pourtant, il trouvait le temps de nous former, de nous transmettre ce qu’il savait. Pas avec des grandes théories, mais avec l’exemple.
Ce que j’ai appris avec lui, je l’ai mis à profit quand j’ai essayé d’ouvrir ma propre structure touristique. Il ne m’a jamais dit comment faire. Il m’a appris à oser. À croire qu’en Calédonie, même un gamin de la Brousse pouvait viser l’excellence.
Quand j’ai appris sa mort, j’ai ressenti une fierté : celle d’avoir croisé la route d’un homme qui ne laissait jamais les choses comme il les trouvait. Il les améliorait. Il améliorait aussi les gens autour de lui.
Henry n’était pas juste un bâtisseur d’hôtels. C’était un bâtisseur d’hommes.
Hienghène : du no man’s land au joyau touristique
Quand Henry arrive à Hienghène, il n’y a rien. Une piste de sable, une maison vide.
Sans formation, sans plan architectural, Henry relève le défi. Il creuse la piscine à la pelle, érige des bungalows en peau de niaouli et en roseaux, fonctionne à l’huile de coude.
Les clients dorment à la bougie, car l’électricité s’arrête après minuit. Mais ils reviennent. Encore et encore.
Jean-Marie Tjibaou, Henri Lafleur, les plus grandes figures politiques calédoniennes de l’époque dorment dans ses chambres. Henri crée un mythe. Le Relais de Koulnoué devient un symbole. Et ce n’est qu’un début.
Henry enchaînera les redressements d’hôtels, du Poé Beach au gîte de Poingam. Toujours à contre-courant, il remet sur pied ce que d’autres abandonnent. Il terminera sa carrière au Nengone Hôtel, à 77 ans, fier, droit, infatigable.
L’épilogue d’une vie hors norme
Ce vendredi 11 juillet 2025, Henry Fairbank s’est éteint à l’âge de 94 ans. Jusqu’à la fin, il aura incarné une époque, une vision, un engagement sans faille pour le développement touristique de la Nouvelle-Calédonie.
Son parcours, entre courage, débrouillardise et élégance, laisse une empreinte durable dans le cœur des Calédoniens.
Il était arrivé sans rien. Il est reparti en légende vivante du tourisme calédonien.
Henry Fairbank n’a pas juste bâti des hôtels : il a bâti des ponts. Entre cultures, entre rêve et réalité.
La Nouvelle-Calédonie lui doit plus que des murs et des bungalows. Elle lui doit une part de son histoire.