À Pouembout, le mythique concours de pêche de nuit rassemble 123 participants, entre passion, lune pleine et esprit communautaire.
Pouembout : entre terre, tribus et mer
Située dans la Province Nord de la Nouvelle‑Calédonie, la commune de Pouembout (en paicî « Pwëbuu ») couvre 674 km² et comptait 2 752 habitants en 2019. Elle s’étend entre Koné, Poya et Hienghène, à près de 260 km de Nouméa. Historiquement tournée vers l’agriculture, notamment l’élevage bovin, la commune conserve une forte identité coutumière et rurale.
Son relief est marqué par le mont Kopeto (1 134 m). Anciennement colonie pénitentiaire dès 1883, Pouembout devient commune en 1910. Elle dépend aujourd’hui de l’aire coutumière Paicî‑Câmuki et regroupe plusieurs tribus, dont celles d’Ouaté et Paouta. Depuis 2020, le maire Yann Peraldi porte cette dynamique entre tradition et modernité.
À l’aube, le retour des bateaux et des souvenirs
C’est à l’aurore que l’on mesure l’ampleur de l’effort. Les bateaux regagnent la plage de Franco à pleine vitesse, les glacières pleines ou presque. Les familles attendent sur le rivage, prêtes pour la pesée. Une pesée qui n’est pas qu’affaire de kilos, mais de fierté.
Je viens chaque année, même de loin, parce que l’esprit est incomparable
confie un habitué. Les visages marqués par la fatigue racontent aussi l’attachement à un mode de vie insulaire, où la mer continue de nourrir corps et mémoire.
« C’est plus qu’un concours, c’est un lien qu’on garde avec nos anciens »
Jean-Baptiste, 43 ans, originaire de Paouta, participe au concours depuis des années. Avec ses frères et son neveu, il perpétue une pratique héritée de son grand-père.
Mon grand-père pêchait déjà ici, avec les moyens de l’époque. Nous, on continue avec nos petits bateaux, nos glacières… mais l’esprit est le même. La mer, c’est notre école. Même quand on ne ramène rien, on a appris quelque chose.
Pour lui, le concours dépasse la simple activité.
Aujourd’hui on vit dans des maisons en dur, on a des voitures, Internet… Mais quand tu es là, la nuit, à tirer la ligne avec les autres, tu reviens à quelque chose d’essentiel. On partage, on transmet.
Une nuit rythmée par la lune et le silence
À la tombée du jour, les pêcheurs s’élancent. 34 embarcations, 123 amateurs, une pleine lune pour seul projecteur. Grâce à une dérogation spéciale, les quotas de pêche lagonaire sont levés pour l’événement. Les règles sont simples : remplir sa glacière le plus vite possible, avec priorité au bec de canne et au bossu.
La nuit, tout est plus intense. Tu ne vois pas bien, tu entends chaque bruit, chaque remous. Il faut rester calme, sentir la ligne, presque deviner le poisson
Tino, pêcheur de Koné, participant pour la quatrième fois au concours. Les gestes sont précis, presque instinctifs. La pêche de nuit exige concentration, coordination, et sang-froid.
La ferveur populaire, entre défi et transmission
Il est 17h30, et l’excitation est palpable sur la plage de Franco. Les pêcheurs passent les contrôles de sécurité, affûtent les lignes, vérifient les appâts. Certains sont venus de loin, mais aucun ne veut manquer ce rendez-vous.
La lune te guide, mais c’est le silence qui t’apprend. Ils pêchent pas seulement avec les mains, on pêche avec les souvenirs ici
Pauline, tribu d’Ouaté, 68 ans. Mais tous savent que la vraie victoire se mesure au lien tissé avec la mer… et avec les autres.
Quand la mer soude les communautés
Au-delà de la compétition, c’est une mémoire collective que l’on célèbre à Pouembout. Le concours de pêche nocturne, loin des fastes touristiques, renforce un lien discret mais essentiel entre les habitants et leur environnement.
La diversité des équipages, jeunes, anciens, familles entières, montre à quel point ce genre d’événements constitue un ciment social. Pour beaucoup, c’est la seule nuit de l’année où l’on ose affronter les ténèbres du lagon, entre respect des éléments et goût de l’aventure.
Et si le poisson se fait rare, l’essentiel est ailleurs. Dans les discussions à la lampe frontale, les silences partagés sous les étoiles, ou les anecdotes échangées au petit matin.
On rigole avant de partir, mais dès que la ligne est lancée, c’est chacun dans sa bulle. La nuit, ça t’oblige à rester concentré, c’est sérieux
Louis, 18 ans, troisième participation.
Et si l’avenir de Pouembout se pêchait dans ses traditions ?
Alors que la modernité gagne du terrain, ces rituels communautaires deviennent précieux. Le concours de pêche de nuit à Pouembout n’est pas un simple événement folklorique : c’est une boussole, un rappel d’identité. Tant qu’il y aura des mains pour nouer les hameçons, et des volontés pour faire vivre la tradition, la mer continuera de rassembler.
À méditer, au rythme des vagues.