En Polynésie française, plus de 90 % des foyers ne sont pas raccordés à un réseau d’assainissement collectif. Résultat : les fosses septiques, souvent vieilles de plusieurs décennies, débordent sans contrôle, polluant les sols et les lagons.
Face à cette bombe écologique silencieuse, quelques communes sortent du silence, bien décidées à reprendre la main sur cette pollution invisible.
Rurutu, pionnière de l’assainissement non collectif
Sur l’île de Rurutu, aux Australes, la situation est critique. Aucune maison n’est reliée à une station d’épuration. Toutes les eaux usées des 600 foyers sont stockées dans des fosses septiques… jamais vidangées, jamais inspectées.
Une réalité partagée par des milliers de foyers à Tahiti ou dans les autres archipels. Et personne pour les contrôler. Mais à Moerai, la mairie a décidé de ne plus attendre. Frédéric Riveta, son tavana, a présenté un projet de service public d’assainissement non collectif, une première dans le fenua.
Objectif : récupérer les boues des fosses grâce à un camion dédié (encore à acheter), puis les traiter sur un site écologique de filtration naturelle par roseaux, situé en hauteur de l’île. Ce procédé, appelé phytoépuration, repose sur le pouvoir filtrant des roseaux Phragmites australis, associés à plusieurs couches de graviers.
Résultat : les résidus sont séparés, séchés, et traités naturellement, sans produits chimiques. Le liquide filtré pourrait même être utilisé en agriculture.
Quant aux boues, elles seront envoyées sur une plateforme de compostage et de traitement des déchets verts, en cours de construction sur le même site.
Coût total : 187 millions de francs CFP, dont 93 millions déjà obtenus grâce au Fonds de solidarité inter-bassins, géré par l’Office français de la biodiversité.
Le projet est financé à 95 % par l’État et le Pays. Une aubaine pour une petite commune, qui n’a déboursé que 9,3 millions sur ses fonds propres.
Une loi ignorée, des lagons en danger
Le Code général des collectivités territoriales (CGCT), censé s’appliquer depuis 2024 en Polynésie, impose aux communes de prendre en charge l’assainissement de leurs administrés.
Mais dans les faits, presque rien n’est fait. À l’exception de quelques zones urbaines ou de Bora Bora, seulement 8 % de la population est connectée à un réseau collectif.
Les conséquences sont préoccupantes : des fosses septiques non vidangées depuis 30 ou 40 ans, des eaux usées qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques ou se déversent dans les lagons.
En métropole, les SPANC (services publics d’assainissement non collectif) imposent une vidange obligatoire tous les 10 ans, avec des redevances claires et un suivi public.
Rien de tout cela au fenua. La plupart des fosses ne sont contrôlées qu’à la construction. Ensuite ? Silence radio.
Et tant que l’État ou le Pays n’imposent pas de contraintes fortes, la majorité des communes resteront immobiles, faute de moyens ou de volonté politique. Mais la pression monte. Plusieurs tavana commencent à s’interroger.
À Rimatara, Artigas Hatitio s’inquiète déjà des futurs coûts de fonctionnement et des redevances à imposer à la population.
À l’approche des municipales, le sujet est explosif.
Le maire de Rurutu tente de rassurer : la collecte par camion coûterait bien moins que « des kilomètres de tuyaux ».
Encore faut-il que la solidarité municipale tienne dans la durée.
Tereheamanu, un second souffle pour l’archipel
À Tahiti, la communauté de communes Tereheamanu (52 000 habitants) ne veut pas rester à la traîne. Elle aussi s’est lancée dans la bataille.
En partenariat avec la Polynésienne des eaux, elle a candidaté au programme national Innov’eau, un dispositif du plan France 2030.
L’idée : créer une station de traitement fondée sur la filtration naturelle, tout en lançant des recherches sur les espèces végétales endémiques capables de filtrer les boues.
L’innovation se mêle ici à la préservation du patrimoine écologique.
En parallèle, Tereheamanu a déjà lancé des études pour porter un projet autonome, au cas où les financements nationaux ne suivraient pas.
Baptisée Tama te pape, cette station de traitement pourrait s’implanter à Paihoro, dans la future zone d’activité de la baie de Phaëton.
Avec ces deux projets, une dynamique locale commence enfin à émerger autour de l’assainissement non collectif.
Mais la majorité du territoire reste dans le flou. Et le risque est grand de voir les eaux usées continuer à empoisonner les sols, les nappes et les lagons, au mépris des textes en vigueur et des enjeux écologiques.