Le couperet est tombé. L’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie vient de clore une bataille juridique aux conséquences explosives pour le transport aérien local. En cause : les pratiques d’Air Calédonie International (ACI), accusée d’abus de position dominante et de discrimination envers les agences de voyages du territoire.
Un système de primes accusé de fausser le marché
Tout commence fin 2024. ACI annonce unilatéralement la fin du système de rémunération fixe (5 % de commission) versé aux agences pour la vente de billets. À la place, un dispositif de primes plafonnées à 3 %, conditionnées à des objectifs commerciaux individualisés, entre en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2025.
Derrière cette apparente modernisation, l’Autorité détecte un risque d’éviction des concurrents. Le nouveau système inciterait les agences à privilégier les ventes ACI, au détriment des autres compagnies aériennes. Pire : les primes seraient attribuées via des conventions personnalisées, sans règles claires, créant une opacité jugée dangereuse pour la concurrence.
Mais ce n’est pas tout : la notification du changement est jugée « brutalement tardive » – à peine un mois avant sa mise en œuvre – alors que certaines agences étaient historiquement dépendantes de cette rémunération. Une méthode qualifiée de rupture abusive de relations commerciales établies.
Le monopole d’ACI remis en question
Aircalin règne sur 89 % du trafic aérien à La Tontouta. Dans un contexte post-crise 2024, marqué par le retrait d’acteurs comme Air Vanuatu, Air New Zealand ou Fiji Airways, cette position s’est renforcée. ACI s’impose comme le seul opérateur de vols long-courriers depuis Nouméa.
Mais cette domination s’accompagne d’un danger : la compagnie intègre aussi sa propre agence de voyages, sans séparation comptable claire. Selon les enquêteurs, l’agence in-house d’ACI pourrait pratiquer des prix prédateurs, évincant les indépendants grâce à des coûts artificiellement bas. Sans comptabilité analytique, impossible de vérifier la rentabilité réelle de cette activité.
L’Autorité dénonce une stratégie à double tranchant : contrôle du canal de distribution et verrouillage du marché via des incitations ciblées. Une mécanique qui menace l’existence même des agences locales indépendantes.
Des engagements sous surveillance jusqu’en 2028
Face aux accusations, ACI a fini par plier. Pour éviter des sanctions lourdes, la compagnie a proposé un plan d’engagements encadré et validé par l’Autorité. Parmi les mesures phares :
Retour à un système partiellement fixe (3,5 %) jusqu’en mai 2026
Aucune exclusivité ni rétroactivité des primes
Préavis obligatoire de 18 mois avant toute modification
Interdiction de traitement préférentiel pour sa propre agence
Création d’une comptabilité analytique séparée, exigée avant le 1ᵉʳ avril 2026
Nomination d’un mandataire indépendant pour garantir le respect des engagements
Une première en Nouvelle-Calédonie, qui impose des garde-fous stricts à une entreprise publique dominante. L’enjeu est clair : préserver une concurrence saine dans le transport aérien, à l’heure où le secteur reste vital pour l’économie du territoire.
Avec cette décision, l’Autorité envoie un signal fort : aucune entreprise, fût-elle publique, ne peut tordre les règles du marché à son avantage. Quant aux agences de voyages, elles sortent renforcées, mais restent vigilantes. Le duel avec ACI n’est peut-être pas terminé…