Tribune
Dans n’importe quelle démocratie un peu sérieuse, un président d’institution mis en cause pour fraude fiscale, abus de biens sociaux et recel aurait déjà remis sa démission. En Nouvelle-Calédonie, il reste en poste. Pire : il vient d’être réélu il y a peu de temps à la tête de la CCI. Pourtant l’affaire était déjà connue. Voilà donc l’état de notre vie économique : on parle de « confiance », « transparence » et « reconstruction », pendant que son principal représentant est soupçonné d’avoir creusé un tunnel fiscal à 685 millions.
Deux milliards envolés, 685 millions d’avantages illicites estimés, des saisies en cascade, une enquête ouverte, et un président encore en fonction.
Un montage « sans intérêt économique »
David Guyenne, homme d’affaires notoire, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie, a été interpellé à 6h du matin le 28 juillet dernier, puis placé en garde à vue avec deux coassociés, dont un membre de sa famille. En cause : la vente de la SCI Linoa à sa propre société, la SARL L’Édifice. Une opération réalisée sous seing privé, légale sur le papier, mais qui aurait permis, selon le parquet, une surévaluation massive des parts et un « appauvrissement estimé à 2 milliards » pour L’Édifice.
À la clé : un avantage fiscal illicite de 685 millions CFP, selon la direction des services fiscaux. Les enquêteurs parlent d’une opération « manifestement orientée au seul profit des associés eux-mêmes ». En clair : une société privée a été vidée de sa substance pour enrichir ses gérants… et alléger leur imposition.
L’affaire est sérieuse. Les mots du parquet sont lourds
« Montage frauduleux »,
« Prix manifestement majoré »,
« Opération déséquilibrée et lésionnaire »,
« Libératoire de toute imposition »…
La direction des services fiscaux a tiré la sonnette d’alarme début 2023 par un signalement au parquet (article 40). Les investigations ont mis à jour une mécanique d’optimisation très agressive — certains diront de l’évasion pure — reposant sur une surcote artificielle et des emprunts internes, avec pour effet une minoration massive de l’impôt dû.
Et pendant ce temps, on parle ici de réforme fiscale, de solidarité budgétaire, de comptes publics exsangues…
Présomption d’innocence, mais absence de décence
On l’a bien compris : David Guyenne est présumé innocent. Mais là n’est pas la question. Elle est ailleurs. Elle est dans l’indécence de continuer à occuper un poste public au nom des entreprises, alors même qu’on est au cœur d’une enquête pénale pour des faits qui défient l’exemplarité attendue d’un représentant économique.
Peut-on, sérieusement, présider la CCI en défendant la justice fiscale… quand on est suspecté d’avoir organisé son contournement ?
Peut-on appeler les entreprises à participer à la reconstruction… quand on est accusé d’avoir vidé sa propre société pour s’enrichir, et d’avoir ainsi privé le pays de ressources vitales ?
La réponse est simple : non.
Une institution en péril
Le maintien de David Guyenne à la tête de la Chambre n’est pas tenable. Il fragilise l’institution. Il déconsidère ses prises de parole. Il abîme la confiance des entreprises, déjà malmenée par les violences, l’instabilité politique et la crise économique. Il envoie un signal délétère : que tout est permis, pourvu qu’on ait le bon costume et les bons réseaux.
La justice tranchera sur les responsabilités. Mais le bon sens, lui, a déjà parlé.
Quand on est mis en cause dans une affaire de cette gravité, on se retire.
Par respect pour la fonction. Pour les entreprises. Pour la Nouvelle-Calédonie.
David Guyenne doit démissionner.
Pas demain. Pas après le communiqué de trop. Maintenant.