Le Timor oriental, l’un des plus jeunes États du monde, résiste encore à l’appétit chinois. Mais son avenir économique incertain pourrait changer la donne.
Un petit État au cœur de l’Indo-Pacifique convoité
Le Timor oriental est indépendant depuis 2002, après des siècles de colonisation portugaise et deux décennies d’occupation indonésienne. Situé à seulement 430 miles au nord-ouest de l’Australie, il occupe une position stratégique au cœur de l’Indo-Pacifique. Proche de l’important détroit Ombai-Wetar et des routes maritimes internationales, ce territoire est naturellement scruté par les grandes puissances.
La Chine, qui multiplie les implantations économiques et militaires dans la région, a très tôt tenté de s’y imposer. En 2007, Pékin proposait la construction d’un radar censé surveiller la pêche illégale. Mais un câble diplomatique américain a révélé que l’objectif caché était de collecter du renseignement sur les forces américaines et taïwanaises. Dili a refusé, affirmant son indépendance stratégique.
Le président José Ramos-Horta, prix Nobel de la paix et figure historique de la résistance, a martelé que son pays restait neutre dans la rivalité entre Washington et Pékin : « Nous ne voyons pas la Chine comme une menace, encore moins comme un ennemi. » Une prudence héritée d’un passé marqué par la lutte pour la souveraineté.
L’influence économique de Pékin : entre ouverture et vigilance
Dans les rues de Dili, l’influence chinoise saute aux yeux : de nombreux commerces portent désormais des enseignes en mandarin. Le quartier de Hudi-Laran est même surnommé « China-Laran » par les habitants. Les infrastructures nationales – palais présidentiel, siège du ministère des Affaires étrangères, réseau électrique, grand port – ont été financées ou construits par des entreprises chinoises.
En 2023, les deux pays ont signé un partenariat stratégique global, ouvrant la porte à une coopération économique « illimitée ». Mais à la différence de nombreux voisins, le Timor oriental n’a jamais contracté de prêt auprès de Pékin. Les projets chinois reposent sur des appels d’offres privés ou des subventions, non sur des emprunts massifs.
Cette approche tranche avec la situation du Sri Lanka, qui a sombré dans une crise de la dette après avoir contracté près de 25 milliards de dollars de prêts chinois. Le Timor oriental a préféré se tourner vers la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement pour ses emprunts, refusant en 2012 un prêt chinois de 50 millions de dollars jugé trop intrusif.
Le pays applique une stratégie du « friends to all » : diversifier ses partenariats (Australie, États-Unis, institutions multilatérales) pour ne jamais dépendre d’un seul acteur. Une ligne qui, jusqu’ici, a permis d’éviter le piège de la dépendance.
Une stabilité menacée par l’épuisement des ressources
Le vrai risque pour le Timor oriental ne vient pas de ses choix diplomatiques, mais de son avenir économique. Aujourd’hui, près de 90 % du budget de l’État repose sur les revenus pétroliers, soit environ un demi-milliard de dollars par an. Or, les principaux champs pétroliers devraient être épuisés d’ici une décennie.
Si aucune nouvelle ressource n’est découverte, Dili pourrait se retrouver face à une banqueroute. Dans ce scénario, Pékin aurait beau jeu de proposer ses financements massifs, au risque d’engloutir la souveraineté timoraise dans une diplomatie de la dette déjà vue ailleurs dans le Pacifique.
La comparaison est inquiétante : les îles Salomon, Kiribati ou encore Nauru ont toutes basculé du côté chinois après avoir bénéficié d’aides financières. En 2022, les Salomon ont même signé un accord sécuritaire ouvrant la porte à une implantation militaire chinoise.
Mais l’histoire du Timor oriental, marquée par le traumatisme de l’occupation indonésienne et par le sacrifice de près de 200 000 morts, reste un puissant garde-fou. Pour Ramos-Horta comme pour Xanana Gusmão, l’actuel Premier ministre et ancien chef de la guérilla, l’indépendance n’est pas négociable.
Comme le rappelle l’ambassadeur timorais en Chine, « Timor sera toujours une démocratie. Impossible qu’un seul pays nous domine. Beaucoup ont essayé. Ils ont échoué. »
Le Timor oriental résiste encore à l’emprise de Pékin grâce à une diplomatie équilibrée et au souvenir douloureux de sa lutte pour la liberté. Mais l’épuisement annoncé de ses ressources pétrolières pourrait l’exposer aux mêmes pièges qui ont déjà englouti tant de petits États du Pacifique.
Pour Pékin, l’occasion est trop belle. Pour Dili, le défi est existentiel : préserver son indépendance chèrement acquise.