Les tarifs douaniers américains, déclencheur d’un séisme mondial
Depuis le 1er août 2025, l’imposition par Washington de nouveaux droits de douane sur plus de 150 pays bouleverse l’équilibre du marché du nickel. L’Indonésie et la Russie, poids lourds du secteur, sont directement visées. Résultat : les flux commerciaux établis depuis des années sont pris de court, et l’incertitude domine.
Avec un prix spot qui a chuté autour de 14 932 dollars la tonne, de nombreuses exploitations minières ne couvrent plus leurs coûts. En Indonésie, qui assure à elle seule 35 % de la production mondiale, près de 60 % des fonderies sont jugées non viables. Aux Philippines, plus de 70 % des sites risquent la fermeture. Même la Russie, pourtant favorisée par des coûts énergétiques bas, se heurte à des barrières commerciales qui amputent ses marges.
Face à ce choc, les investisseurs institutionnels réévaluent massivement leur exposition. Ce qui se joue, ce n’est pas une simple fluctuation : c’est un rééquilibrage structurel des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Une tempête parfaite : dollar fort, surproduction et demande en berne
Les tarifs américains ne sont pas les seuls responsables du chaos. La force persistante du dollar renchérit le nickel pour les acheteurs en devises locales et plombe la demande mondiale. Dans le même temps, la surproduction frappe de plein fouet : près de 198 000 tonnes excédentaires sont attendues cette année, du jamais vu depuis 2008.
La demande d’acier inoxydable, premier débouché du nickel, est en recul sur les marchés asiatiques. Et le boom des véhicules électriques, censé porter la filière, avance moins vite que prévu. Résultat : les deux secteurs qui absorbent plus de 75 % de la consommation mondiale se contractent simultanément.
Le constat est brutal : selon Benchmark Minerals, 32 % de la production mondiale est déjà mise à l’arrêt au troisième trimestre 2025. C’est la plus forte rationalisation en dix ans. Pourtant, la reprise des prix reste hypothétique à cause des stocks pléthoriques accumulés à la Bourse des métaux de Londres.
Capital en fuite : la revanche de l’Amérique du Nord et de la Chine
Dans ce contexte, les capitaux se redéploient. L’Amérique du Nord capte désormais 65 % des nouveaux investissements dans le nickel, portée par des juridictions stables, des infrastructures solides et des critères ESG respectés. Le Canada, grâce à ses gisements sulfurés, conserve un avantage de coût et attire les investisseurs prudents. L’Australie, malgré des coûts élevés, reste attractive grâce à ses mines à forte teneur et sa proximité des marchés asiatiques.
L’Indonésie, en revanche, vacille. Ses projets financés par l’État masquent une réalité fragile : une production massivement subventionnée, contestée pour son empreinte carbone et ses résidus polluants. Les annonces officielles de réduction de quotas peinent à convaincre des marchés sceptiques.
À l’opposé, la Chine joue une stratégie long terme. Pékin double ses réserves stratégiques de nickel de classe 1 et profite des prix bas pour renforcer son contrôle sur les chaînes de valeur, en particulier pour les batteries électriques et le stockage d’énergie.
Un tournant pour la filière nickel
Le marché mondial du nickel vit une crise historique, née du croisement entre politiques protectionnistes, surproduction, dollar fort et demande affaiblie. Derrière les fermetures d’usines et les faillites, une nouvelle géopolitique du nickel s’installe. Désormais, les capitaux fuient les zones instables pour se réfugier dans des juridictions sûres.
La question n’est plus seulement de savoir qui produit le nickel, mais où il est produit et dans quelles conditions. Et dans ce nouveau monde, l’Amérique du Nord et la Chine sortent renforcées, tandis que l’Indonésie, jadis hégémonique, voit son modèle remis en cause.