Une boisson traditionnelle, transformée en dérive urbaine. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie veut enfin remettre de l’ordre dans les nakamal.
Une tradition respectée mais détournée
Le kava, boisson traditionnelle des sociétés océaniennes, a toujours occupé une place centrale dans la culture mélanésienne et polynésienne. Dans les villages, le nakamal est un lieu de rencontre, un espace de dialogue et de cohésion sociale. Mais à Nouméa et dans d’autres zones urbaines, la réalité est bien différente. En l’absence de cadre légal, ces établissements se sont multipliés dans l’anarchie, attirant leur lot de nuisances : tapages nocturnes, insécurité, dérives sanitaires. Certains nakamal se sont transformés en véritables « salons de thé » clandestins, où se mêlent consommation de kava, alcool, drogues et même prostitution. Une image dévoyée qui ternit la dimension culturelle de cette pratique.
Conscient de cette dérive, le gouvernement d’Alcide Ponga, a choisi d’agir. L’avant-projet de loi du pays, adopté en collégialité ce mercredi 27 août, entend restaurer la dignité de cette tradition tout en assurant la sécurité des Calédoniens.
Une loi ferme, inspirée des débits de boissons
La mesure phare instaure une licence obligatoire, calquée sur le régime des débits de boissons alcoolisées. Chaque établissement devra prouver sa moralité, son sérieux et sa capacité à préparer un kava sain, dans le respect des normes d’hygiène. Impossible d’obtenir une licence si l’on vend également de l’alcool : le mélange kava-alcool étant jugé dangereux pour la santé publique.
L’autorisation sera délivrée pour trois ans, après avis du maire et, le cas échéant, validation coutumière. La licence pourra être suspendue ou annulée si les règles ne sont pas respectées. L’exploitant devra être ou représenté par un salarié qualifié, et la licence devra être affichée en évidence pour permettre des contrôles réguliers. Le gouvernement prévoit également des sanctions claires : suspensions, fermetures, amendes. Un signal fort envoyé à ceux qui croyaient pouvoir prospérer dans le flou juridique.
Enfin, les communes pourront limiter le nombre de nakamal, notamment à proximité des écoles ou des établissements de santé. Une mesure de bon sens, réclamée depuis des années par les riverains excédés par les nuisances.
Sécurité, hygiène et respect de la coutume
L’avant-projet prévoit une période transitoire : six mois pour déposer une demande de licence, six mois supplémentaires pour se former aux règles de salubrité. Une mesure pragmatique pour éviter de brusquer les exploitants, mais qui fixe un cap clair : la fin de la jungle des nakamal non déclarés.
Cette réforme entend aussi replacer les autorités coutumières au cœur du processus, en les associant à l’attribution des licences. Loin d’effacer la tradition, le texte veut au contraire la protéger contre sa marchandisation et ses dérives. La fermeture administrative de l’établissement dit Kava Ciné City, début août, en est l’illustration flagrante.
En réalité, cette loi est bien plus qu’un encadrement commercial : c’est une volonté politique forte de restaurer l’ordre public, de protéger la jeunesse et de défendre la santé collective. Une manière aussi de rappeler que la coutume ne saurait être instrumentalisée pour justifier l’anarchie.
Le texte, soutenu par l’ensemble des provinces, doit encore passer par le Conseil d’État, puis être présenté au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Mais déjà, le signal est clair : l’exécutif Ponga veut mettre fin au laxisme qui a trop longtemps entouré la vente de kava.
Si le Congrès valide ce projet, une page se tournera : celle des nakamal sans règle, où se confondaient tradition et dérives. Place à une nouvelle ère, où respect de la coutume et respect de la loi marchent enfin de pair, dans l’intérêt de tous les Calédoniens.