Le tribunal correctionnel de Nouméa statue depuis le début de la semaine sur une affaire de détournement de fonds publics impliquant d’anciens cadres du parti Calédonie Ensemble, formation non-indépendantiste. Les faits reprochés remontent à la période 2014-2018, durant laquelle le parti dirigeait la province Sud. Les prévenus, dont des figures politiques majeures, sont accusés d’avoir rémunéré des collaborateurs issus de la communauté wallisienne et futunienne – un électorat clé – pour des emplois présumés fictifs.
Jeudi, le parquet a dévoilé des réquisitions sévères.
Philippe Gomes, ancien député et leader historique du parti, est visé par quatre ans de prison, dont deux ans ferme avec sursis aménagés via un bracelet électronique, assortis de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire (interdiction de se présenter aux élections même en cas d’appel). Amende : 5 millions de francs pacifique.
Philippe Michel, ex-président de la province Sud, pourrait écoper de trois ans de prison (dont un an ferme et 2 ans avec sursis et bracelet électronique). Inéligibilité : 5 ans avec exécution provisoire. Amende : 4 millions de francs pacifique.
Martine Lagneau, actuelle première vice-présidente de la province, fait face à dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans d’exclusion des mandats électoraux. Prison : 18 mois de prison avec sursis. Inéligibilité : 5 ans avec exécution provisoire. Amende : 500 000 francs pacifique.
Les deux autres prévenus, Sutita Sio-Lagadec et Fiu Muliakaaka, sont également concernés par des demandes d’inéligibilité immédiate et des peines carcérales. Sututia Sio-Lagadec : Prison : 2 ans de prison (dont 1 an ferme et 1 an avec sursis). Silipeto Muliakaaka et Christine Blanc : Prison : 18 mois de prison avec sursis pour chacun.
Calédonie ensemble (parti politique) :
Amende : 20 millions de francs pacifique.
Le système incriminé s’appuierait sur la délibération 100-CP, un texte régissant les recrutements de collaborateurs au sein des collectivités. Jugée floue par les parties, cette délibération aurait permis de découper des postes en fractions de 10 à 20 %, facilitant l’embauche de personnalités influentes, notamment des chefs coutumiers wallisiens et futuniens. Selon l’accusation, ces contrats à temps partiel, sans activité avérée, visaient à renforcer un « clientélisme politique » au sein d’une communauté essentielle dans les équilibres électoraux locaux.
Le parquet réclame par ailleurs 167 880 euros d’amende contre Calédonie Ensemble, ainsi que des amendes individuelles pour les cinq prévenus. Le préjudice financier global, évalué par la province Sud à 972 000 euros, inclurait les salaires versés indûment et les charges sociales associées.
La défense a contesté ces accusations, rappelant qu’une affaire similaire avait abouti à un non-lieu en 2014. Selon Me Jean-Yves Le Borgne, l’un des avocats, cette décision aurait conforté les prévenus dans leur conviction d’agir en conformité avec la loi. Les conseils des accusés soulignent également l’absence de cadre juridique précis à l’époque des faits, rendant les poursuites « disproportionnées ».
L’ONG Anticor, partie civile, a qualifié le dossier de « système d’ampleur » mêlant abus de droit, enjeux moraux et stratégie de pouvoir. Elle dénonce un mécanisme qui « porte atteinte au fondement même de la démocratie », en instrumentalisant des fonds publics à des fins partisanes.
Le verdict, attendu dans les prochaines semaines, pourrait marquer un tournant dans la vie politique calédonienne, alors que Calédonie Ensemble, autrefois dominant, traverse une crise interne depuis plusieurs années. L’affaire relance également le débat sur le contrôle des pratiques de recrutement dans les collectivités ultramarines, souvent critiquées pour leur opacité.
Ce procès intervient dans un contexte tendu en Nouvelle-Calédonie, où les questions d’équilibre communautaire et de transparence institutionnelle restent au cœur des tensions politiques.