TRIBUNE. L’enseigne espagnole Zara fête son demi-siècle. Si l’Europe s’inquiète aujourd’hui des dérives de l’ultra fast fashion chinoise, le secteur textile ne l’a pas attendue pour mettre en place un modèle économique fondé sur la surconsommation et le gaspillage, dénonce Loïc Rousselle*.
En 1975, Amancio Ortega ouvrait à La Corogne une petite boutique baptisée Zara. Son idée était révolutionnaire : raccourcir les cycles de la mode pour proposer en permanence de nouveaux vêtements à des prix accessibles. Cette stratégie s’est appuyée dès les années 1990 sur une délocalisation massive de la production vers l’Asie, avec pour seule boussole la compression des coûts.
Grâce à l’intelligence artificielle et à une collecte massive de données clients, ces plateformes publient chaque jour des milliers de nouveaux produits, dont la plupart ne sont fabriqués qu’en très petite série. Seuls les articles qui rencontrent immédiatement une demande importante sont produits à grande échelle. Ce système de micro-production itérative limite les stocks, les invendus, mais au prix d’une cadence industrielle qui épuise les chaînes de sous-traitance.
Shein peut ainsi vendre une robe à 6 €, un t-shirt à 3 €, une paire de chaussures à moins de 10 €. Des prix rendus possibles par des conditions de travail dégradées, notamment en Chine et au Bangladesh. Pourtant, ces nouveaux géants ne sont pas nécessairement les plus gros pollueurs. En volume de vêtements produits, Shein est encore loin des mastodontes historiques. Leur empreinte carbone est réelle, mais rapportée à leur part de marché, elle reste proportionnellement inférieure à celle des géants de la grande distribution textile, qui continuent de livrer des dizaines de millions de pièces chaque mois, souvent issues de matières synthétiques.
Une loi qui exonère les plus gros pollueurs
C’est dans ce contexte que la France a tenté, en 2024, de reprendre la main avec une proposition de loi visant à encadrer l’ultra fast fashion. Votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, la première version du texte entendait interdire la publicité pour les marques de fast fashion, instaurer un malus écologique progressif sur les produits vendus, et imposer de nouvelles règles de transparence sur les volumes produits.
« Cette loi traduit une forme de cynisme politique »
Mais lors de son passage au Sénat, le texte a été vidé de sa substance. Les dispositions les plus structurantes ont été écartées. Désormais, seules les plateformes ultra low-cost venues de Chine sont visées – Shein et Temu, principalement. Les grands distributeurs européens et français, eux, sont totalement exonérés.
L’absurdité de cette orientation saute aux yeux : ce sont précisément ces acteurs, bien installés dans le paysage économique, qui dominent le marché en volumes, en pollution, et en incitation à la surconsommation. Les malus, les restrictions publicitaires, les obligations de transparence ? Réservés aux « autres ».
Ce ciblage sélectif qui pose problème
D’abord, il affaiblit gravement l’efficacité environnementale du texte. Réguler les seuls nouveaux entrants – fussent-ils ultrarapides – tout en laissant carte blanche aux pollueurs historiques, revient à transformer une mesure structurante en simple geste politique. Un coup d’épée dans l’eau, ou pire : un permis implicite de polluer pour les distributeurs déjà installés.