Un levier stratégique pour la souveraineté économique
Les protections de marché : plus qu’un avantage, un outil de développement
La prolongation jusqu’en juillet 2026 du délai de réévaluation des protections de marché en Nouvelle-Calédonie ne doit pas être considérée comme un simple report administratif. C’est une opportunité cruciale pour repenser un outil économique fondamental.
Trop souvent, ces protections sont réduites à des “avantages” accordés à certaines entreprises. Pourtant, elles sont bien plus que cela : elles soutiennent des filières locales encore fragiles, protègent l’emploi, encouragent la transformation locale, et constituent l’un des rares leviers d’action économique dont dispose le territoire.
Il faut le rappeler : la production locale représente à peine 5 % du panier de la ménagère. Laisser ce secteur sans cadre de protection, dans un contexte d’importation massive, c’est accepter sa disparition à moyen terme.
Pas de débat honnête sans remettre en cause aussi l’importation
Le débat public ne peut plus être déséquilibré. Quand une entreprise locale demande une protection, on exige des comptes, des preuves, des engagements. Et c’est normal. Mais qui demande des comptes aux importateurs ? Qui contrôle les marges, les conditions d’entrée, les pratiques de dumping, ou les effets de domination sur certains marchés ?
Il ne peut y avoir de réforme sérieuse des protections de marché sans une réelle évaluation du rôle de l’importation dans les déséquilibres économiques actuels. Très souvent, lorsqu’un produit local perd sa protection, son équivalent importé devient dominant — avec, à la clé, une hausse des prix et une perte totale de contrôle.
Protéger la production locale, ce n’est pas bloquer l’importation. Mais c’est exiger qu’elle soit soumise à des règles équivalentes de transparence, d’impact économique et de responsabilité sociale.
Transparence, objectifs clairs et gouvernance partagée
Ce que demandent les Calédoniens, ce n’est pas de choisir entre industrie locale et pouvoir d’achat. Ce qu’ils veulent, c’est un système lisible, juste, et équilibré. Chaque dispositif de protection doit continuer de reposer sur des critères simples, au travers d’un contrat de performance signé entre le Gouvernement et les entreprises de la filière : nombre d’emplois créés ou maintenus, investissements réalisés, qualité du produit, part de valeur ajoutée locale, prix, politique salariale, formation…
Mais dans ce cadre elles doivent aussi pouvoir être réversibles. Une protection inefficace doit pouvoir être révisée, voire supprimée. C’est ce qui permet aussi aux entreprises locales régulées de continuer à devoir toujours progresser et être plus compétitives. Et parallèlement, si une ouverture de marché est mal encadrée, elle aussi, doit pouvoir être corrigée si elle génère des abus.
Ni totem, ni tabou : un contrat productif à construire
Le vote du 2 juin n’est pas une fin, mais un point de départ. Il faut en faire l’occasion d’instaurer une gouvernance rénovée des protections de marché, reposant sur deux piliers : une évaluation régulière que doit faire annuellement le Gouvernement et le Congrès, comme le prévoit la loi, et une politique volontariste et visionnaire de nos élus structurants pour construire des filières créatrices d’emplois, fixateurs de valeurs ajoutées et permettant de transférer des compétences localement. Ce qui aura en plus comme avantage bénéfique de participer à rééquilibrer notre balance commerciale si déficitaire.
Protéger nos industries ne doit pas être vu comme une faveur, mais comme un engagement stratégique au service de l’intérêt général : emploi, résilience économique, développement durable. À condition que ces industries jouent le jeu.
À l’inverse, déréguler sans garde-fous, c’est ouvrir la porte à des monopoles d’importation, à des hausses de prix injustifiées, et à une disparition des savoir-faire locaux. Là encore, ce sont les consommateurs et les travailleurs calédoniens qui paient les conséquences.
Pour une économie équilibrée et maîtrisée
Il est temps de sortir d’une logique binaire : “protection = rente” d’un côté, “importation = liberté” de l’autre. La réalité est plus complexe. Ce qu’il faut, c’est un contrat productif clair entre les producteurs, les consommateurs, les importateurs et les pouvoirs publics.
Oui, il faut protéger. Mais intelligemment. Pas pour sanctuariser l’existant, mais pour donner du temps et des conditions équitables à la production locale. Et oui, de temps en temps, quand des dysfonctionnements sont constatés et non corrigés, il faut pouvoir ouvrir, mais sous contrôle. Pas pour enrichir quelques distributeurs, mais pour servir l’intérêt général.