Dans l’ombre d’un système de santé en déliquescence, une ambulance recyclée en « Smur populaire » est devenue le symbole poignant de la résilience des soignants du Nord. Ce véhicule médicalisé, géré bénévolement par des professionnels exsangues, tente désespérément de combler les carences institutionnelles. Samedi 31 mai, c’est pourtant devant son équipage impuissant qu’un quadragénaire a rendu son dernier souffle sur le parking de l’hôpital de Koumac.
Une ambulance de la dernière chance
Le véhicule blanc arborant difficilement son étoile bleue sous l’autocollant d’une tête de sanglier incarne toute la précarité du dispositif :
– Origine : Ancienne ambulance privée achetée en 2024 par les pompiers du SIVM Nord
– Équipage : Médecins, infirmiers et secouristes bénévoles en roulement
– Zone d’intervention : De Koumac à Touho, jusqu’aux sites miniers isolés
Depuis septembre 2024, cette structure informelle est devenue « l’interlocuteur privilégié du Samu » dans le Grand Nord.
Une convention bancale avec le CHN
L’évolution du dispositif reflète l’enlisement de la crise :
1. Août 2024 : Premières astreintes nocturnes après la fermeture partielle des urgences
2. Janvier 2025 : Transformation en « Smur » suite à la fermeture totale
3. Mars 2025 : Retrait du financement hospitalier malgré une convention initiale
Le CHN continue de fournir des médicaments et un local dans la maternité fermée mais les bénévoles doivent désormais compter sur des dons citoyens pour le carburant, certaines stations-service offrant même « le plein gratuit« .
L’impensable dilemme éthique
Les interventions se déroulent sous contraintes extrêmes :
– Protocole : Actions strictement encadrées par le médecin régulateur du Samu
– Limites : Impossible d’utiliser la salle de déchoquage pourtant équipée de l’hôpital
– Risque juridique : Statut flou des actes pratiqués par des soignants hors cadre institutionnel
« Doit-on accepter que des bénévoles pallient les carences de l’État ?« , s’interroge une source hospitalière. Pourtant, face aux deux décès cardiaques récents et à la mortalité en hausse de 100%, les soignants n’ont guère le choix.
Une population en état de survie sanitaire
La mort d’un homme de 47 ans sur le parking de l’hôpital de Koumac, samedi 31 mai, n’est pas un simple fait divers. C’est le symbole glaçant d’un système de santé à bout de souffle. Alors que son cœur lâchait, ce père de quatre enfants a trouvé portes closes là où il espérait un refuge. À deux pas de lui, une salle de déchoquage équipée – mais vide de personnel – est devenue le cruel miroir d’une gestion sanitaire en échec.
Le drame révèle une absurdité administrative :
– La salle de déchoquage, équipée en oxygène et matériel de réanimation, est « une vitrine inutile sans médecins »
– Un médecin urgentiste formé est présent sur place… mais ne peut exercer
– Le CHN recommande officiellement aux patients de rejoindre Koné, à 1h30 de route – un délai fatal pour les urgences cardiaques
Le drame du 31 mai révèle l’ampleur du désastre :
– 17h30 : Appel du Samu pour malaise cardiaque
– 17h45 : Arrivée du Smur populaire sur place
– 18h00 : Début des manœuvres de réanimation… sur le parking
– 19h15 : Décès prononcé à quelques mètres d’une salle de déchoquage inutilisable
« C’est notre obligation de résilience qui nous fait tenir« , lâche une infirmière bénévole, tandis que les dons citoyens affluent pour maintenir ce fragile filet de sécurité.
En trois semaines, ce sont deux vies qui ont été emportées par des crises cardiaques faute de prise en charge immédiate. Les professionnels dénoncent un cycle infernal :
1. Des alertes répétées depuis la fermeture des urgences le 1er février 2025
2. Une banalisation du risque « On classera l’info. On parlera d’autre chose »
3. Des conséquences humaines mesurables : les pompes funèbres locales constatent une mortalité doublée depuis janvier
Une réunion d’urgence est attendue à la DASS-NC, tandis qu’un collectif de soignants prépare une action en justice pour « mise en danger délibérée de la population ». Une motion d’urgence sera débattue au Congrès de Nouvelle-Calédonie d’ici quelques jours, tandis que l’Ordre des médecins envisage des poursuites pour « mise en danger d’autrui » contre les autorités sanitaires.
Chiffres clés :
– 142 interventions du Smur populaire depuis janvier 2025
– 78% concernent des urgences vitales
– Aucune subvention publique depuis mars 2025