FERMETÉ. Après le drame de Nogent, Bruno Retailleau dénonce une société « sans repères » minée par une gauche « déconstructrice ». Le ministre de l’Intérieur défend des mesures chocs et veut généraliser les courtes peines de prison dès le premier délit grave.

Le JDD. À Nogent, malgré un contrôle, la présence des gendarmes et des règles, une surveillante a été poignardée par un élève. Comment une telle tragédie reste-t-elle possible en 2025 ? Que révèle-t-elle de l’état du pays ?
Bruno Retailleau. Il faut avoir le courage de nommer les choses. Ce qui s’est passé à Nogent n’est pas un fait divers. C’est un fait de société. Lorsqu’un adolescent poignarde une surveillante dans un collège, quelques semaines seulement après le meurtre d’une lycéenne à Nantes, on ne peut plus parler d’exception. C’est un symptôme. Depuis des années, je dénonce les ravages de cette société permissive que les beaux esprits progressistes nous avaient vendue comme un progrès. Elle devait libérer. Elle a enfanté des barbares. Ce que nous payons aujourd’hui, c’est la facture de Mai 68. On nous avait promis la plage sous les pavés. Mais c’est la rage qui est remontée. Une rage qui surgit dans le vide laissé par les déconstructeurs : plus d’interdits, plus de respect, plus d’autorité, plus de repères.
Vous insistez sur la responsabilité d’une société permissive. Mais n’est-ce pas réducteur ?
Je distingue deux niveaux de responsabilité. D’un côté, les causes immédiates : réseaux sociaux, confusion entre réel et virtuel, violence banalisée. De l’autre, les causes profondes, que j’appelle les causes racines : quarante ans de choix idéologiques qui ont déconstruit nos repères. Le mal vient de là. Et pour traiter cette rage froide, il faut avoir le courage de faire tomber les tabous, d’arracher les racines de l’ensauvagement, de briser, enfin, cette fabrique des barbares.
Vous évoquez des tabous à faire tomber. Lesquels précisément ?
Le premier tabou, c’est la prison pour les mineurs. On répète que la prison serait l’école du crime. Mais aujourd’hui, la véritable école du crime, c’est la rue. Trop de jeunes violents y vivent sans sanction réelle. On leur accorde, de fait, un droit au premier tabassage… puis au dixième. Et quand la peine tombe, c’est souvent trop tard. Il faut renverser cette logique. Dès le premier délit grave, des peines courtes – une ou deux semaines de prison, comme aux Pays-Bas – peuvent avoir un effet dissuasif. Mais pour cela, il faut commencer par abroger la loi Belloubet de 2019, qui empêche ces peines courtes. C’est une urgence.
Peut-on vraiment restaurer l’autorité sans s’attaquer à un autre tabou : celui de la responsabilité parentale ?
C’est l’autre grand tabou : la responsabilité des parents. Il faut en finir avec les fausses excuses sociales. Dans la France des honnêtes gens, des millions de parents modestes élèvent leurs enfants avec autorité. À l’inverse, dans certains milieux plus aisés, l’éducation « positive » vire à la démission. Les parents sont les premiers éducateurs. L’école ne peut pas réparer ce que la famille a abandonné. Il faut donc appliquer l’article 227-17 du Code pénal, qui sanctionne les manquements graves à l’autorité parentale. Et suspendre les allocations familiales quand elles ne servent plus à éduquer. Une aide sans contrepartie, ce n’est plus une aide : c’est un chèque en blanc.
Quelles mesures structurelles proposez-vous pour l’école ?
On ne peut pas transmettre des savoirs quand il n’y a plus de savoir-être. C’est une évidence. C’est pourquoi je propose la création, dans chaque département, d’établissements spécifiques pour les mineurs violents. Ils fonctionneraient selon des règles strictes, avec une pédagogie adaptée. L’objectif, c’est d’abord de réapprendre les bases du comportement : le respect, les limites, la discipline. Ces jeunes seraient scolarisés à part, en internat, pour les couper de l’influence des bandes, des quartiers, des groupes qui les abîment. Il faut même, dans certains cas, une discipline quasi-militaire. C’est ce qui fonctionne. C’est ce qui recadre.
« Mon rôle, c’est de rappeler que ces drames ne sont pas des faits divers. Ce sont des faits de société »
À Nogent, le procureur évoque un adolescent fasciné par la mort. Cette fascination morbide revient dans plusieurs affaires. Comment en est-on arrivé là ?
Cela me fait penser à une phrase d’Hannah Arendt : « La mort de l’empathie humaine est l’un des signes les plus précoces d’une culture sur le point de sombrer dans la barbarie. » Ce que décrit le procureur à Nogent, c’est exactement cela : un jeune sans empathie, qui relativise la vie humaine comme s’il s’agissait de la vie d’un insecte. On ne me fera pas croire qu’on arrive à ce degré de désensibilisation par hasard. Il y a des causes. Et ces causes sont sociales, culturelles, éducatives.
Après le drame, les annonces pleuvent : portiques, sanctions, internats… Que dit cette frénésie politique du rapport au réel ?
C’est d’abord le symptôme d’une politique soumise à l’émotion médiatique. À chaque drame, il faudrait réagir dans l’instant, sortir une mesure, une annonce, une loi. Les responsables politiques se sentent sommés de répondre dans la minute, comme s’ils étaient prisonniers de l’actualité. Moi, je refuse cette logique de l’instantané. Mon rôle, c’est de rappeler que ces drames ne sont pas des faits divers. Ce sont des faits de société. Et qu’ils appellent des réponses de fond, pas des coups de menton.
Vous parlez de « voile d’illusions » depuis quarante ans. Quelles sont, selon vous, les grandes fables qui ont conduit la France à sa situation actuelle ?
Trois grandes illusions ont abîmé la France. D’abord, l’idée qu’on pouvait travailler moins et vivre mieux : elle a conduit à un appauvrissement collectif et individuel – un million de Français sont passés au SMIC en deux ans. Ensuite, l’illusion que l’immigration serait une chance : notre société est de plus en plus fragmentée, certains refusent de s’intégrer, et les désordres migratoires alimentent l’insécurité. Enfin, le vieux slogan « Il est interdit d’interdire » : il a fait exploser l’autorité, à l’école, en famille, dans la rue.
Vous dénoncez les illusions de la gauche. Mais la droite a aussi gouverné une bonne partie des quarante dernières années…
La droite porte aussi une part de responsabilité. Et si elle a perdu une grande partie de son électorat, c’est parce qu’elle a trop longtemps vécu sous le joug idéologique de la gauche. Elle a cessé d’assumer ses convictions. Trop souvent, la droite s’est contentée d’être une gauche un peu moins dépensière, un peu plus sécuritaire, mais sans rompre avec les dogmes dominants. Or, il ne suffit pas de corriger à la marge. Il faut une révolution idéologique. Et cette révolution, la droite doit enfin l’assumer pleinement.
Quels sont, selon vous, les dogmes de gauche encore dominants aujourd’hui dans l’appareil d’État ou dans les esprits ?
Les dogmes de gauche dominent encore, non parce qu’ils gouvernent, mais parce qu’ils ont colonisé les esprits. Le vrai problème, c’est que le pouvoir nous échappe à trois niveaux. Le pouvoir juridique : l’État de droit devient de plus en plus un cadre idéologique contraignant plutôt qu’un cadre juridique. Le pouvoir sur la jeunesse : nous ne savons plus transmettre ni encadrer. Le pouvoir budgétaire : la dépense publique échappe à tout contrôle. Si la droite veut revenir, elle doit d’abord reprendre le pouvoir dans sa tête. Cela suppose une parole libre, et surtout une parole vraie. Les Français savent ce qu’ils vivent. Ce qu’ils ne supportent plus, c’est qu’on leur mente.
« Aujourd’hui, les peuples votent mais leurs choix ne sont pas appliqués »
Même avec une victoire dans les urnes, le pouvoir reste contraint. Institutions, juges, blocages : comment reprendre réellement la main dans un système verrouillé ?
Reprendre le pouvoir dans les urnes, c’est nécessaire. Mais pas suffisant. Il faudra engager trois révolutions, à commencer par une révolution juridique. Il s’agit de revenir à la source du droit : la souveraineté populaire. Le vrai risque aujourd’hui, c’est que l’État de droit, tel qu’il fonctionne, entre en conflit avec la démocratie. Or, il n’a de sens que s’il repose sur la volonté du peuple. Mon objectif, c’est de réconcilier État de droit et souveraineté populaire. Pas de démocratie sans peuple, pas de droit sans légitimité populaire.
Vous invoquez la souveraineté populaire. Mais l’histoire montre qu’elle peut aussi verser dans la violence…
La souveraineté populaire, ce n’est pas un concept abstrait. C’est une question simple : qui gouverne ? Aujourd’hui, les peuples votent mais leurs choix ne sont pas appliqués. Pierre Rosanvallon prétend que les juges incarnent autant que les élus la souveraineté du peuple. C’est une confusion dangereuse. Comme l’a dit Marcel Gauchet, on glisse vers un progressisme autoritaire. Prenez l’immigration : sans réforme constitutionnelle pour permettre un référendum via l’article 11, aucun vrai changement ne sera possible.
D’ici 2027, tout semble verrouillé. Avez-vous les moyens d’agir malgré tout ?
Avec un Parlement sans majorité et une Constitution qui exige les trois cinquièmes pour être révisée, il serait illusoire de promettre des ruptures d’ici 2027. Si nous sommes entrés au gouvernement, c’est pour deux raisons : faire barrage à une gauche « LFisée » et garantir une forme de stabilité. Ce n’est ni l’heure des grandes révolutions, ni celle de l’inaction. En politique, la parole précède l’action. Quand elle est claire et enracinée dans le réel, elle prépare les esprits. C’est ce que je m’efforce de faire, pour cette France des honnêtes gens.
Concrètement, sur quels leviers pouvez-vous appuyer aujourd’hui, sans majorité ?
J’étais cette semaine au Conseil européen Justice et Affaires intérieures de l’Union européenne pour faire évoluer la directive « retour », qui est en réalité une directive… anti-retour, puisque ce sont les clandestins qui décident ou non de repartir dans leur pays d’origine. Pour la première fois, nous allons réussir à la modifier. Autre mesure concrète : j’ai signé une circulaire liant assimilation et naturalisation, pour en restreindre les conditions. Ce mot, « assimilation », la droite ne l’osait même plus. Les résultats suivent puisque depuis octobre 2024 nous avons : – 24 % de régularisations, + 14 % de retours forcés, + 104 % d’expulsions par arrêté ministériel ou préfectoral. Même sans majorité, on peut agir – si on le veut vraiment.
Vous vous êtes opposé publiquement à la proportionnelle. Est-ce un point de rupture avec le Premier ministre ?
Je le maintiens, c’est un point dur. Et d’ailleurs, cette réforme est politiquement intenable pour le Premier ministre. Il ne peut la faire passer qu’avec les voix du RN et de LFI… contre l’avis d’une large majorité de sa propre majorité, ce qu’on appelle le socle commun. Ce serait un non-sens démocratique.
Si cette réforme passe, ce serait une ligne rouge franchie ?
Je l’ai dit clairement au Premier ministre : ce serait un contre-sens. La Ve République repose sur le fait majoritaire. Instaurer la proportionnelle, c’est graver l’instabilité dans nos institutions. Et l’instabilité, c’est l’impuissance publique. C’est ce qui mine la démocratie, ce qui alimente la défiance des Français envers l’État. J’ajoute que cette réforme creuserait la fracture territoriale : la France rurale perdrait des députés au profit des métropoles. Ce serait donc une double erreur.
Vous dites vouloir reconstruire une droite gagnante. Mais sur quelle ligne : alliance avec le centre ou rupture assumée sur l’immigration, l’autorité, l’identité ?
Aujourd’hui, je suis attaqué à la fois par LFI et le Rassemblement national. C’est bon signe : cela veut dire que je les dérange. La droite que je défends est une droite de conviction. Une droite qui croit au travail – or aujourd’hui, travailler plus, c’est d’abord payer pour les autres. Une droite qui remet l’école au centre, pour transmettre les savoirs, et où l’enseignant est respecté. Une droite qui assume les limites, la mesure, l’autorité – ferme et juste. Une droite enfin qui fait baisser réellement l’immigration. Voilà mes convictions. Je suis convaincu qu’elles peuvent convaincre aussi ceux qui ont voté Emmanuel Macron ou Marine Le Pen.
Votre cap est clair, mais il peut sembler exigeant, voire austère. Comment le rendez-vous audible et mobilisateur ?
Ce n’est peut-être pas joyeux, mais le sang et les larmes, c’est déjà maintenant. C’est chez nous, dans notre école dite républicaine, que les résultats des élèves dépendent le plus de la position sociale des parents. Nous avons désormais un système de santé à deux vitesses. Et les plus modestes subissent les premiers l’insécurité et le chaos migratoire. Je veux redresser tout cela. Reconstruire une France fière d’elle-même, pour ces honnêtes gens attachés à leurs repères, leur culture, leur paysage familier. C’est à eux que je veux redonner de l’espérance.
Vous tracez une ligne claire jusqu’en 2027…
Je sais combien l’obsession présidentielle a abîmé la politique. Avant un chef, il faut un projet. Mes priorités : un parti populaire, une force militante partout, une machine à gagner. L’élection interne l’a montré : nous sommes redevenus le premier parti de France. Reste à bâtir un projet crédible. Les Français veulent une droite fidèle à ses convictions, sérieuse, audacieuse – pas une droite qui promet tout et fait le contraire une fois élue.