À l’heure où les débats sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie s’enveniment, les mots de François Mitterrand résonnent avec une étonnante clarté, presque une prémonition.
Dans sa Lettre à tous les Français publiée lors de la présidentielle de 1988, le président socialiste François Mitterrand, chef de l’État et figure emblématique de la gauche républicaine, se penche longuement sur le cas calédonien. Il y répond à un message de Jean-Marie Tjibaou et pose une ligne ferme, républicaine, lucide : respect du droit, refus des privilèges fondés sur l’histoire, et confiance dans la République comme seule garante de la paix.
Je ne crois pas que l’antériorité historique des Canaques sur cette terre suffise à fonder le droit.
Cette phrase, forte, dit tout. Mitterrand n’ignore ni les souffrances du peuple kanak, ni les injustices du passé. Il rappelle les humiliations subies, les réformes foncières avortées, les promesses non tenues. Mais pour lui, la solution ne passe ni par la repentance éternelle, ni par l’indépendance imposée à une population profondément divisée.
L’indépendance dans cet état de rupture […] signifie guerre civile.
Le constat est glaçant mais lucide. Mitterrand oppose l’utopie de l’indépendance à la réalité de la cohabitation forcée de deux peuples de poids équivalent. Il n’y aura pas de vainqueur : seulement des perdants.
La République comme seul arbitre
Dans ce texte, Mitterrand appelle à un sursaut de responsabilité. Pour lui, le salut passe par la République – pas la République abstraite, mais celle qui écoute, qui réforme, qui arbitre. Celle qui donne les mêmes droits à tous et refuse les assignations ethniques.
L’exclusion des minorités n’est pas notre tradition.
Il rappelle également que les référendums sont la seule voie légitime pour trancher les grands choix de société. Même dans une crise aussi profonde, la loi votée par le Parlement et approuvée par le peuple doit s’appliquer. En Nouvelle-Calédonie, trois référendums ont déjà eu lieu dans ce cadre, marquant à chaque fois le choix du maintien dans la République. Et si la loi doit changer, ce sera par les mêmes moyens : le débat démocratique et le suffrage universel.
Un message pour aujourd’hui ?
Alors que certains agitent à nouveau la menace d’un référendum unilatéral ou de l’indépendance sans accord, les paroles du président Mitterrand prennent des allures d’avertissement. On ne bâtit pas un avenir en niant les réalités démographiques, historiques et sociales. On ne fonde pas une nation sur le rejet de l’autre. Et on ne peut pas imposer un avenir commun sans un minimum de consentement partagé.
La Nouvelle-Calédonie avance dans la nuit, se cogne aux murs, se blesse. […] Il est temps d’en sortir.
Aujourd’hui comme en 1988, la sagesse commande de refuser la violence, de rejeter le chantage à la rupture, et de faire vivre l’idéal républicain, ici aussi, au bout du monde.
Texte intégral :
« La Nouvelle‑Calédonie (…) Un message pour M. Tjibaou.
C’est un appel au secours en même temps qu’un rappel des principes qui l’inspirent. Il combat pour l’indépendance de la Nouvelle‑Calédonie et, pour lui, la Nouvelle‑Calédonie, c’est avant tout le peuple canaque. Je résume un peu vite, peut‑être, sa pensée. M. Tjibaou et son parti ne demandent pas l’exclusion des Français d’origine et des autres ethnies. Ils veulent simplement, si je puis dire, en décider eux‑mêmes, car ils sont, à eux seuls, le suffrage universel.
Je connais cette théorie. Depuis sept ans que je le rencontre, M. Tjibaou ne varie pas. C’est un homme que je respecte, avec lequel les mots vont plus loin que les mots. Mais je ne crois pas que l’antériorité historique des Canaques sur cette terre suffise à fonder le droit. Histoire contre Histoire : les Calédoniens d’origine européenne ont aussi, par leur labeur, modelé ce sol, se sont nourris de sa substance, y ont enfoncé leurs racines. Les deux communautés face à face n’ont aucune chance d’imposer durablement leur loi, sans l’autre et contre l’autre – sinon par la violence, et la violence elle‑même atteindra ses limites.
L’indépendance, pourquoi pas ? La population eût été homogène que la Nouvelle‑Calédonie en serait là, comme ses voisins. Mais l’indépendance dans cet état de rupture, entre deux populations d’importance comparable, signifie guerre civile : la seule guerre inexpiable, et donc l’écrasement d’un des deux camps. »