Le 24 juin, dans un relatif silence, le Conseil d’État a transmis une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) qui pourrait bouleverser toute l’architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.
Et si le verrou du corps électoral spécial sautait ? Et si l’exclusion d’un électeur sur cinq devenait, enfin, juridiquement indéfendable ? Et si, à travers une simple décision de justice, c’était toute la mécanique post-Accord de Nouméa qui se retrouvait sur la sellette ?
C’est exactement ce qui est en train de se jouer, à bas bruit — mais avec des conséquences explosives.
Une QPC, c’est quoi ?
C’est une procédure qui permet à tout justiciable de contester la conformité d’une loi à la Constitution. Ici, il s’agit de la loi organique de 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, celle qui fixe qui peut — ou non — voter aux élections provinciales.
Depuis l’Accord de Nouméa, le corps électoral dit “gelé” est réservé à ceux installés durablement en Calédonie avant 1998 et à leurs descendants directs. Les autres, même nés ici, même présents depuis plus de 20 ans, restent exclus des scrutins qui structurent l’avenir du pays.
Or ce gel, qui se voulait transitoire, est toujours en place 25 ans après. Résultat : près de 19 % des citoyens majeurs sont aujourd’hui privés du droit de vote local. Et ce chiffre grimpe d’année en année.
La QPC a été déposée par l’association « Un cœur, une voix », qui milite pour l’égalité électorale et la fin de cette discrimination institutionnelle. Représentant un électeur exclu, elle a saisi le Conseil d’État pour contester les articles 188 et 189 de la loi organique, dénonçant une atteinte aux principes constitutionnels d’égalité du suffrage, de représentation et de consentement à l’impôt.
Ce que dit le Conseil d’État
Le Conseil d’État, après examen, n’a pas tranché lui-même. Il a estimé que la situation méritait d’être jugée par plus haut que lui : le Conseil constitutionnel. Autrement dit, la plus haute autorité juridique du pays est désormais saisie.
Le message est limpide : ce système électoral spécial, justifié à l’origine par le processus de décolonisation, n’est plus compatible avec les principes fondamentaux de la République, à commencer par l’universalité et l’égalité du suffrage.
Ce renvoi intervient en raison d’un changement de circonstances juridiques : la révision constitutionnelle de 2007 a modifié l’article 77 de la Constitution, ce qui rend légitime un réexamen des articles litigieux, même s’ils avaient été validés en 1999.
Autrement dit : maintenant que les trois référendums d’autodétermination ont eu lieu, la logique d’exception ne tient plus.
Ce qui pourrait se passer
Si le Conseil constitutionnel valide cette QPC — ce qui est probable — il obligera l’État à revoir les règles. Pas besoin de modifier la Constitution : une simple modification de la loi organique suffira.
Et là, c’est tout l’équilibre institutionnel calédonien qui basculerait.
Car les indépendantistes ont toujours présenté ce gel électoral comme une conquête intangible. Ils refuseront de le voir remis en cause sans dénoncer l’ensemble du processus post-Accord.
Mais à l’inverse, pour des milliers de jeunes nés ici ou de familles installées depuis deux décennies, cette évolution serait vécue comme une victoire démocratique majeure.
Impacts politiques à venir ?
Pour l’État, il n’y aura bientôt plus d’échappatoire. Il devra soit :
• proposer une nouvelle loi organique élargissant le corps électoral,
• soit assumer un système clairement inégalitaire… ce que le Conseil constitutionnel pourrait censurer.
Pour les loyalistes, cette QPC est une revanche tardive. Cela fait des années qu’ils dénoncent l’exclusion électorale de milliers de résidents. Ils devront maintenant prouver qu’ils sont capables d’utiliser ce tournant pour proposer autre chose.
Pour les indépendantistes, c’est un test de cohérence. Le combat pour l’émancipation peut-il s’appuyer durablement sur l’exclusion d’une partie du peuple ? L’avenir dira s’ils préfèrent sortir par le haut ou s’arc-bouter sur un privilège devenu intenable.
Et pour la société calédonienne dans son ensemble, cette QPC est peut-être la meilleure nouvelle depuis longtemps : le droit rattrape enfin le réel.
Prochain épisode : juillet ou août
Le Conseil constitutionnel devrait statuer avant la fin de l’été austral. S’il valide la QPC, un compte à rebours s’enclenchera pour le gouvernement. En clair : 2026 ne pourra pas se faire avec les mêmes règles électorales qu’en 2019.
Et c’est tant mieux car une démocratie ne peut pas se construire sur l’exclusion. Il aura fallu 25 ans pour le comprendre. Espérons qu’il n’en faille pas 25 de plus pour agir.