Face à l’explosion de l’usage des réseaux sociaux par les enfants, le gouvernement calédonien frappe à la porte de l’OPT pour une mesure radicale. Objectif : protéger les moins de 15 ans, sans attendre l’Europe.
Une jeunesse connectée… et en danger
63 % des moins de 13 ans ont déjà un compte sur les réseaux sociaux. C’est l’un des chiffres qui inquiètent le plus les professionnels de l’enfance et les forces de l’ordre. En Nouvelle-Calédonie, comme ailleurs, les enfants baignent dès le plus jeune âge dans un univers numérique non encadré, sans véritable contrôle parental.
Une enquête de la CNIL révèle que la première inscription sur un réseau intervient en moyenne à 8 ans et demi. Une réalité confirmée par l’association Génération Numérique. Pourtant, TikTok, Instagram ou Snapchat interdisent théoriquement leurs services aux moins de 13 ans…
Mais dans les faits, les règles sont contournées, parfois même avec la complicité passive des parents.
Addiction aux écrans, perte de sommeil, accès à la pornographie, cyberharcèlement, contenus violents ou complotistes : la liste des dangers est longue. Or, 80 % des parents déclarent ignorer ce que font leurs enfants en ligne, et seuls 50 % posent des limites de temps ou d’accès. Une passivité parentale qui favorise ces dérives.
L’OPT mise à contribution pour restreindre l’accès
En l’absence de pouvoir législatif local en matière numérique, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie change de stratégie. Comme l’a annoncé Christopher Gyges, en charge de la transition numérique, une demande officielle a été faite à l’OPT-NC afin de mettre en place un abonnement spécifique restreignant l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans.
Mais pour Maël, 13 ans, c’est illusoire :
J’ai 13 ans, j’utilise Instagram et Snapchat tous les jours pour parler avec mes amis. Si on m’interdit, je trouverai un autre moyen, je demanderai le téléphone de ma grande sœur ou je créerai un faux compte. De toute façon, on sait toujours comment contourner les règles.
Cette mesure, portée également par Isabelle Champmoreau, chargée de l’enseignement et de la jeunesse, vise à contourner l’inaction législative nationale et européenne. Une première réunion de travail avec l’OPT est prévue afin de ne pas perdre de temps. Car le décret d’application de la loi française sur la majorité numérique – votée mais non applicable – n’a jamais vu le jour, bloqué par la Commission européenne, qui pointe son incompatibilité avec le règlement DSA.
La solution calédonienne serait donc une première en France : une forme de désobéissance numérique locale, pragmatique et ciblée. Elle reposerait sur le fournisseur d’accès, et non sur les plateformes elles-mêmes, dont le contrôle reste difficile, voire illusoire.
Majorité numérique, cyberharcèlement : un arsenal inopérant ?
La loi française du 21 mai 2024 sur la majorité numérique fixe clairement la règle : interdiction des réseaux sociaux sans accord parental avant 15 ans. Elle impose aussi aux plateformes des obligations inédites : vérification d’âge, limitation du temps passé en ligne, possibilité de suspension du compte à la demande d’un parent, et diffusion de messages de prévention contre le cyberharcèlement.
Mais ce texte, pourtant adopté, n’est pas appliqué.
En cause ? L’absence de décret et l’opposition de Bruxelles.
Le président Emmanuel Macron lui-même a reconnu en juin dernier sur France 2 que « la France ne peut plus attendre », appelant à une interdiction harmonisée au niveau de l’Union européenne. À défaut, Paris menace d’agir seule.
Pourtant, le mal est déjà fait : les enfants connectés sont des cibles idéales. Harcèlement scolaire en ligne, sextorsion, deepfake, chantage, cyber-outing… les formes d’atteinte à la personne se multiplient. Même les signalements aux plateformes sont rarement suivis d’effets rapides. Et si une enquête judiciaire est lancée, les géants du numérique ont jusqu’à 10 jours pour livrer les données – 8 heures en cas d’urgence vitale.
Autant dire : une éternité face à des mineurs en détresse.
Sans attendre Paris ni Bruxelles, la Nouvelle-Calédonie s’apprête à prendre les devants. Une solution locale, technique, pilotée par l’OPT, qui pourrait devenir un exemple pour d’autres territoires.
Car pendant que les textes dorment dans les tiroirs, les enfants, eux, continuent de scroller, liker… et parfois, sombrer.