Les collisions entre navires et baleines explosent en Polynésie. Un projet inédit mêlant caméras et intelligence artificielle veut stopper l’hécatombe.
Une menace invisible : les passes, pièges mortels pour les baleines
Chaque année, les baleines à bosse migrent vers les lagons polynésiens pour mettre bas dans des eaux chaudes et peu profondes. Ces zones, prisées pour leur calme, sont aussi les plus exposées au trafic maritime intense, notamment entre Tahiti et Moorea. Les mères et leurs petits évoluent dans un périmètre restreint, rendant les collisions presque inévitables.
Les passes de Vaiare et de Papeete sont devenues des zones critiques, où la marge de manœuvre est réduite et la vitesse des ferrys souvent excessive. Or, chaque choc avec un navire peut être fatal. Les chiffres sont sous-estimés, car la majorité des cadavres coulent sans jamais être retrouvés. Le stress, les blessures et les perturbations sonores s’ajoutent à la menace, réduisant les chances de survie des cétacés.
Ocean IA : l’intelligence artificielle au service des cétacés
Face à cette urgence, l’association Oceania déploie Ocean IA, un projet financé par l’Union européenne et l’UICN, qui pourrait révolutionner la protection des mammifères marins. Objectif : repérer automatiquement les baleines à l’approche des navires, grâce à des caméras thermiques fixées à terre, sur les hauteurs de Tahiti et Moorea.
L’innovation réside dans l’apprentissage de l’IA : elle est entraînée à détecter les souffles, dorsales et queues, même de nuit, et à créer des zones d’alerte dynamiques. Dès qu’un bateau entre dans un périmètre à risque, un message est envoyé au capitaine en temps réel, lui demandant de ralentir. Une technologie préventive, unique au monde, qui va bien au-delà des systèmes passifs de simple collecte de données.
Le déploiement est prévu pour la prochaine saison des baleines. En attendant, les phases de test se multiplient : positionnement stratégique des caméras, entraînement de l’IA avec des images archivées, définition du canal de communication idéal avec les marins.
Sensibilisation, réglementation : une bataille sur tous les fronts
Ocean IA ne se limite pas à la technologie. L’association Oceania travaille main dans la main avec les armateurs, les compagnies de ferrys et les services maritimes, mais aussi avec les plaisanciers et le grand public. Des observateurs embarqués participent toujours au programme Ocean Watch, qui reste complémentaire au dispositif automatisé.
La Polynésie concentre 90 % du trafic maritime local entre Tahiti et Moorea, un flux constant de résidents, de touristes et de marchandises. Chaque traversée devient un risque, mais aussi une opportunité d’éducation. L’application Whale Alert, accessible à tous, permet désormais aux citoyens de signaler la présence de cétacés et d’agir.
Alors que la saison d’observation des baleines a débuté en Nouvelle-Calédonie depuis la mi-juillet, le Code de l’environnement de la Province Sud encadre strictement l’observation des baleines, avec une charte signée par les prestataires et des contrôles réguliers. Un pavillon officiel distingue désormais les opérateurs respectueux, après une formation encadrée par la Province Sud.
Ocean IA ouvre la voie à une cohabitation plus intelligente entre activités humaines et vie sauvage. En Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie, la survie des baleines dépend d’initiatives concrètes. Le futur de la biodiversité passera par la technologie… ou pas du tout.