Un éclat de rire, un discours, et l’histoire bascule. Le 26 juillet 1956, Nasser frappe fort : il nationalise le canal de Suez. La riposte franco-britannique vire au fiasco.
Nasser défie l’Occident et s’empare du canal de Suez
En ce 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser, président égyptien, fait exploser les ondes radio du monde arabe. Devant une foule immense réunie à Alexandrie, il annonce la nationalisation de la Compagnie universelle du canal de Suez, jusque-là gérée par les intérêts franco-britanniques. Cette décision, présentée comme une revanche contre l’humiliation coloniale, vise à financer le barrage d’Assouan, après le refus américain et britannique de le soutenir.
Mais derrière ce coup d’éclat, c’est un défi direct lancé aux puissances européennes. Nasser veut reprendre le contrôle de l’économie égyptienne, s’affirmer comme le leader du monde arabe et dénoncer l’ingérence occidentale. Il sait que le canal est vital pour l’Europe, par lequel transite une grande partie de son pétrole. Le message est clair : « Le canal est désormais à nous ».
Une riposte militaire qui tourne à l’humiliation
Paris et Londres s’estiment trahis. Actionnaires majoritaires et gestionnaires historiques du canal, ils voient dans cet acte un affront inacceptable. D’autant que l’Égypte de Nasser soutient ouvertement le FLN algérien, ce qui exaspère la France. La riposte se prépare en coulisses, avec un allié de circonstance : Israël. Depuis 1955, Le Caire bloque l’accès du canal et du golfe d’Akaba aux navires israéliens, un acte perçu comme une menace existentielle.
Le 29 octobre 1956, Tsahal envahit le Sinaï et Gaza. Deux jours plus tard, les troupes britanniques et françaises bombardent l’Égypte. C’est l’opération Mousquetaire : 60 000 hommes, 300 avions de combat, six porte-avions sont mobilisés pour faire plier Nasser.
Mais la contre-attaque vire au cauchemar diplomatique. Les États-Unis de Dwight Eisenhower et l’URSS de Nikita Khrouchtchev s’opposent fermement à l’opération. L’ONU entre dans la danse. Le 6 novembre, les troupes sont forcées de se retirer. C’est une gifle historique pour deux puissances en déclin.
Le triomphe politique de Nasser, héros du Tiers-Monde
Là où Paris et Londres essuient un camouflet, Nasser récolte un triomphe. Certes, l’Égypte subit des pertes militaires, mais sur le plan politique, le président égyptien sort grandi. Il a tenu tête aux anciennes puissances coloniales, humilié leurs armées et affirmé la souveraineté de son peuple. Le monde arabe l’érige en symbole de résistance, et le Tiers-Monde salue l’émergence d’un leader indépendant.
La crise du canal de Suez révèle un monde qui bascule : l’influence de la France et du Royaume-Uni s’effondre, celle des États-Unis et de l’URSS s’imposent comme nouvelle norme. L’affaire accouche aussi d’une nouveauté diplomatique majeure : les Casques Bleus. Pour la première fois, une force d’interposition des Nations unies est déployée pour restaurer la paix, annonçant les prémices du multilatéralisme moderne.
Soixante-dix ans plus tard, la crise de Suez reste une leçon de géopolitique brutale : les symboles de puissance peuvent s’effondrer en un discours, et les rires de Nasser ont résonné bien au-delà des rives du Nil.