À peine revenu sur la scène politique, Jacques Lalié fait face à un nouveau séisme. Une enquête judiciaire vient ternir le come-back triomphal de l’ex-président de la province des Îles Loyauté.
De la fierté retrouvée à l’humiliation judiciaire
Il y a tout juste quelques jours, Jacques Lalié arborait un large sourire. Grâce à une décision du juge des référés du Conseil d’État, il retrouvait son siège au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu’à l’assemblée provinciale. Une réhabilitation express, lui qui avait été déclaré inéligible en novembre 2024, qui lui ouvrait de nouveau les portes du pouvoir et les émoluments associés depuis sa mise à l’écart.
Mais l’euphorie fut de courte durée. D’après la rédaction de « La Voix du Caillou », une enquête préliminaire est désormais ouverte par le parquet de Nouméa pour des faits susceptibles de constituer un détournement de fonds publics. Les soupçons portent sur la gestion d’une armée de collaborateurs politiques sous la dernière mandature de Lalié à la tête de la province.
Depuis plusieurs semaines, les gendarmes de la Section de recherches (SR) épluchent les documents internes de l’administration provinciale. Leur mission : déterminer si des dizaines d’agents ont été rémunérés sans contrepartie de travail réel. Un signalement a été adressé par le Haut-commissaire de la République en septembre 2022, après avoir relevé un dépassement du plafond légal de collaborateurs.
Une gestion hors normes des collaborateurs politiques
Le fond du dossier ? Une inflation incontrôlée des effectifs de cabinet. À en croire la chambre territoriale des comptes, la province des Îles a franchi des plafonds pourtant bien balisés par la délibération n°100/CP. De 45 collaborateurs autorisés en 2018, les effectifs sont passés à 105 temps pleins en 2019, avec une enveloppe annuelle atteignant 258 millions de francs CFP. Pire : au moins 213 personnes différentes ont été recrutées depuis 2018.
L’encadrement juridique, pourtant clair, a été largement contourné. La majorité des recrutements ne comportait ni fiches de poste, ni mission formalisée, et beaucoup d’agents étaient recrutés à temps partiel pour optimiser l’enveloppe budgétaire. Certains remplacements se faisaient même sur des critères discutables, comme le décès d’un conjoint ou avant de rejoindre Air Loyauté. La chambre évoque un système où les partis politiques dictaient les embauches, au mépris de l’intérêt collectif.
Des plannings hebdomadaires ont été instaurés seulement après l’ouverture de l’enquête. Et leurs contenus laissent songeur : « rendez-vous dentiste », « blocage d’aérodrome », « distribution du magazine provincial », autant d’activités qui n’ont aucun lien avec l’assistance aux élus. Pour la chambre, il ne fait aucun doute : la fonction de collaborateur a été dévoyée.
Une procédure opaque, un coût exorbitant
La gestion RH de la province vire à la caricature. Pas de contrôle interne, des rémunérations versées rétroactivement, et des collaborateurs parfois recrutés sans CV, certains présentant même des liens familiaux entre élus et agents, affectés artificiellement à d’autres élus du membres groupe pour contourner la loi organique.
Les indemnités de fin de fonction ? Là encore, le flou règne. Plusieurs cas identifiés montrent des versements indus, parfois pour moins d’un an de service, sans aucun justificatif, au mépris du cadre légal. Et la dérive continue : en 2022, une nouvelle délibération a même offert aux collaborateurs des conditions de mission plus favorables, jusqu’à des billets d’avion en classe affaires, faisant exploser les coûts.
Ce système de gestion parallèle s’est donc bâti hors de tout contrôle démocratique. Malgré les recommandations de la chambre des comptes, peu d’avancées concrètes ont été constatées. L’enquête préliminaire devra déterminer si Jacques Lalié a sciemment contourné les règles pour consolider son pouvoir politique, avec l’argent du contribuable.
L’affaire Lalié est loin d’être close. Derrière le vernis d’un retour politique spectaculaire, se cache peut-être l’un des plus gros scandales de gestion publique des dernières années en Nouvelle-Calédonie. Pour l’heure, l’ex-président est présumé innocent. Mais le dossier judiciaire s’annonce lourd, explosif, et potentiellement ravageur pour l’image de toute une institution.