L’agriculture calédonienne encaisse une crise silencieuse mais profonde. Le foncier agricole disparaît, les chefs d’exploitation vieillissent, et la production locale peine à couvrir les besoins du territoire.
Entre dépendance croissante aux importations et déprise rurale, l’avenir alimentaire de la Nouvelle-Calédonie est en jeu.
Le foncier agricole se contracte, les terres se raréfient
Le foncier agricole en Nouvelle-Calédonie est confronté à une érosion brutale. D’après le dernier recensement général agricole (RGA) de 2012, la surface agricole utilisée (SAU) est passée de 248 000 ha en 2002 à 182 000 ha en 2012, soit une baisse de 27 %. Cette chute est directement liée à la diminution de l’élevage bovin – qui occupe 95 % des pâturages – et à l’expansion de l’urbanisation autour des grands pôles d’emploi.
Les terres coutumières sont les plus touchées : leur SAU a fondu de 53 %, passant de 69 000 à 32 600 ha. Des dizaines d’exploitations vivrières ont disparu, étouffées par la complexité des régimes fonciers, les conflits de succession et l’absence de cadastre fiable. En parallèle, les terres domaniales progressent légèrement (+4 %), tandis que le foncier privé baisse de 17 %, notamment en province Sud, où les prix s’envolent et la spéculation immobilière s’intensifie.
La loi du pays sur les baux ruraux, portée par la province Sud, vise à inciter à la location des terres agricoles, mais l’effet reste limité. Le mitage, la pression foncière sur le littoral, l’artificialisation des terres et la concurrence avec l’industrie du nickel sapent la capacité de production agricole. Dans ce contexte, seuls 12 % du territoire calédonien sont encore exploités par l’agriculture.
Une agriculture qui vieillit et s’érode lentement
Le vieillissement des chefs d’exploitation est devenu critique : en 2012, leur âge moyen était de 53 ans, contre 50 en 2002. Près d’un tiers a plus de 60 ans, et la relève n’est pas assurée. La population agricole familiale a chuté de 38 % en dix ans, passant de 21 200 à 13 225 personnes, soit 5 % de la population totale, contre 22 % en 1991.
L’emploi familial recule (-26 %), tandis que le salariat progresse lentement, en particulier dans les exploitations plus structurées du Sud. Sur les 4 506 exploitations recensées en 2012, seulement 45 % des chefs se considèrent agriculteurs à part entière, et un tiers exerce plusieurs activités en parallèle. 28 % des exploitations produisent uniquement pour l’autoconsommation, les dons ou les échanges, notamment sur terres coutumières.
La concentration foncière s’accélère : les exploitations de taille moyenne (2 à 50 ha) progressent, tandis que les très petites et très grandes exploitations disparaissent. L’atelier du foncier agricole organisé le 25 juillet 2025 par la CAP-NC à Nessadiou a rappelé l’urgence de favoriser la transmission, de libérer du foncier et de redonner un cap clair au secteur.
Vers un nouveau modèle agricole résilient et durable
Face à ces constats, la CAP-NC et la coopérative TERO ont proposé des pistes inspirées de l’étranger (Allemagne, France, Mali, Australie) pour revaloriser les terres agricoles et renforcer les outils de gestion. La mutation de l’agriculture calédonienne est déjà amorcée.
Quelques filières émergent, d’autres résistent :
Les vergers organisés passent de 637 à 966 ha (+52 %)
Le nombre de ruches a triplé, atteignant 6 804 en 2012
Le cheptel porcin progresse de 18 %
L’horticulture ornementale se développe, notamment sur la côte Nord-Est
À l’inverse, les tubercules tropicaux chutent de 41 %, le café s’effondre (-67 %), et les exploitations vivrières familiales perdent du terrain. L’objectif est désormais d’accroître l’autonomie alimentaire (estimée à 48 % pour les produits frais), réduire les importations massives (15,8 milliards XPF en 2021) et renforcer les circuits courts, déjà privilégiés par 64 % des producteurs.
L’agriculture non marchande conserve une importance sociale : 28 % des exploitations fonctionnent en dehors de toute logique de marché. Cette réalité reflète un ancrage coutumier, mais aussi un repli face aux contraintes foncières et économiques.
L’adaptation au changement climatique devient aussi centrale. Le territoire subit de plus en plus fréquemment les effets d’El Niño et de La Niña, avec des alternances de sécheresses et de pluies diluviennes. L’agriculture doit gérer la ressource en eau, réduire les intrants chimiques, protéger les paysages, et garantir la santé des consommateurs.
Des infrastructures existent : structures de recherche, de formation, d’innovation, mais la cohérence d’ensemble reste à bâtir.
L’agriculture calédonienne est à la croisée des chemins. Entre pression foncière, vieillissement des acteurs et dépendance croissante aux importations, elle doit aujourd’hui se réinventer pour garantir la sécurité alimentaire du territoire. Ce chantier, colossal, engage l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.