Alors que l’accord de Bougival était censé tourner la page des émeutes, la colère monte au sein du FLNKS, tandis qu’en Corse, la solidarité s’organise.
Un président exilé, un accord contesté
Christian Tein, toujours interdit de séjour en Nouvelle-Calédonie, fait entendre sa voix depuis Bastia. Lors d’une conférence de presse organisée ce mardi 29 juillet avec le parti indépendantiste corse Nazione, le président du FLNKS a dénoncé sans détour le projet d’accord signé début juillet à Bougival.
Pour lui, cet accord ne constitue en rien une avancée vers la pleine souveraineté. Au contraire, il entérine une autonomie de façade, vidée de toute reconnaissance réelle du peuple kanak. Un virage à 180 degrés de la part du leader de la CCAT, alors qu’il avait assisté dans l’ombre aux négociations, et que son contreseing était plus que déterminant pour entériner cet accord.
Ce projet nous renvoie loin de l’accord de Nouméa , a-t-il martelé, avant d’ajouter : Le peuple kanak est relégué au fond du wagon.
Une formule choc qui résume le sentiment d’abandon d’une partie des indépendantistes, exacerbée par l’absence de reconnaissance du caractère prioritaire et central de l’identité kanak dans l’édifice politique futur.
À Bastia, le lien entre la Kanaky et la Corse s’est renforcé : même défiance envers l’État, même rejet des solutions imposées. Le porte-parole de Nazione, Petru Antone Tomasi, a appuyé les critiques du FLNKS en affirmant que
l’État français ne négocie jamais contre ses propres intérêts.
Une fracture stratégique au sein du FLNKS
Mais le plus inquiétant pour les indépendantistes calédoniens, c’est la guerre ouverte qui déchire leur propre front.
L’Union calédonienne (UC) et la Dynamique unitaire Sud (DUS) rejettent formellement la signature de leurs représentants à Bougival. Un désaveu cinglant, qui remet en cause la légitimité de tout le processus. L’opprobre est ainsi jeté sur une parole politique déjà fragilisée.
À l’opposé, le Palika et l’UPM, plus modérés, et le RDO d’Aloisio Sako voient dans cet accord un compromis nécessaire pour sortir du cycle des blocages. Pour eux, l’État de Nouvelle-Calédonie, inscrit dans la Constitution, peut devenir un tremplin vers plus de souveraineté — à condition de ne pas figer le dialogue.
Face à cette cacophonie, le congrès du FLNKS prévu ce samedi à Bourail a été reporté. Une décision prise par le bureau du front indépendantiste, réuni en urgence mardi soir. Le congrès pourrait finalement se tenir les 8 et 9 août, à la tribu de La Conception, au Mont-Dore. L’enjeu ? Trancher entre deux lignes inconciliables… et peut-être, sauver l’unité d’un front historique.
Corse et Kanaky : un front commun contre Paris ?
Au-delà des rivalités internes, c’est un nouvel axe politique qui semble émerger : celui de la convergence des luttes entre territoires colonisés. À Bastia, Christian Tein n’a pas seulement dénoncé Bougival. Il a aussi tendu la main aux militants corses, appelant à un dialogue intercolonial, fondé sur l’expérience partagée des rapports de force avec l’État.
En Corse comme en Kanaky, c’est le bras de fer qui relance le dialogue , affirme Nazione.
Et ce bras de fer, Paris l’appréhende. Car dans les deux cas, les forces indépendantistes, affaiblies par la division, doivent maintenant décider si elles préfèrent l’unité autour d’un projet imparfait… ou l’affrontement pour un rêve toujours inachevé.
Christian Tein l’a rappelé : la jeunesse kanak formée à l’étranger n’a pas vocation à entretenir la haine, mais à construire la paix dans la justice. Et cette paix passe, selon lui, par la reconnaissance pleine et entière du peuple autochtone. Tant qu’un seul Kanak vivra sur sa terre, le combat pour la souveraineté continuera, affirme-t-il.
L’accord de Bougival, censé ouvrir une nouvelle ère, révèle aujourd’hui les fractures profondes du camp indépendantiste. Entre stratégies divergentes, défiance envers l’État et alliances insulaires, la Nouvelle-Calédonie entre dans une phase d’incertitude majeure. Le congrès du FLNKS d’août sera décisif : il dira si la Kanaky avance unie vers l’émancipation… ou s’enlise dans un nouveau cycle de tensions.