Un tournant politique décisif pour la Nouvelle-Calédonie : le gel du corps électoral devant le Conseil constitutionnel
Une double saisine, un même enjeu : la légitimité du corps électoral gelé
Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont tous deux transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant les articles 188 et 189 de la loi organique de 1999, lesquels fixent le cadre juridique du gel du corps électoral. Ces QPC, numérotées 2025-1163 et 2025-1167, émanent respectivement de l’association Un Cœur, Une Voix et d’un requérant encore confidentiel.
Le Conseil est donc saisi par les deux plus hautes juridictions françaises. Ce double renvoi confère un caractère historique à l’audience publique prévue le 10 septembre 2025 à 15 h 00. En toile de fond : la question explosive de l’accès au vote aux élections provinciales pour les citoyens installés récemment en Nouvelle-Calédonie.
Depuis le gel acté en 2007, des milliers de résidents français sont exclus des scrutins provinciaux. Ce verrouillage, instauré pour préserver la légitimité du processus de décolonisation, est aujourd’hui juridiquement contesté : le Conseil devra dire si ce dispositif est encore conforme aux principes fondamentaux de la République.
Un calendrier électoral suspendu à une décision constitutionnelle
Le renvoi de la QPC par le Conseil d’État a déjà produit un effet immédiat : aucune élection provinciale ne pourra se tenir en 2025. Pourquoi ? Parce que, tant que le Conseil constitutionnel n’a pas tranché, le décret de convocation des électeurs serait immanquablement attaqué et suspendu par la juridiction administrative.
Ainsi, sauf retournement imprévu, les élections aux assemblées de province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ne pourront se dérouler avant 2026. Ce report technique découle directement de la procédure constitutionnelle en cours.
Mais cette échéance juridique modifie aussi l’équilibre politique : si le Conseil juge le gel inconstitutionnel, le corps électoral serait mécaniquement élargi. Les indépendantistes, aujourd’hui majoritaires grâce à ce filtre électoral, seraient mis en position de fragilité. Une telle issue met donc une pression maximale sur les négociateurs indépendantistes pour conclure un accord politique avant la décision du Conseil.
Vers un corps électoral évolutif : ce que prévoit l’accord de Bougival
Le texte signé à Bougival le 12 juillet 2025 introduit une dynamique nouvelle. Il prévoit un corps électoral évolutif, articulé en plusieurs étapes :
Pour la consultation d’approbation de l’accord, le corps électoral spécial (LESC) reste inchangé. Il s’agit du même que celui utilisé pour les trois référendums précédents.
Pour les élections provinciales de 2026, une première ouverture est prévue : pourront voter les personnes inscrites sur la LESC ou la LESP, nées en Calédonie ou y résidant depuis au moins 15 ans, et également inscrites sur la liste électorale générale.
À terme, le droit de vote sera réservé aux « nationaux calédoniens », une nouvelle citoyenneté devant émerger de la future organisation institutionnelle.
En attendant l’entrée en vigueur pleine de cette nationalité calédonienne, des dispositions transitoires prévoient un maintien temporaire des critères actuels.
Ce dispositif progressif vise à accompagner la sortie du gel sans rupture brutale, tout en préparant une citoyenneté politique propre à la Nouvelle-Calédonie. Mais si le Conseil constitutionnel invalide les articles actuels, c’est toute cette mécanique qui devra être revue — peut-être au profit d’un système plus ouvert, conforme aux exigences de la République.