Avec 18 % d’adultes en situation d’illettrisme, la Nouvelle-Calédonie tire la sonnette d’alarme. La Croix-Rouge française se mobilise, à visage humain.
L’illettrisme en Calédonie : un fléau invisible mais massif
Près de 29 000 adultes en Nouvelle-Calédonie peinent à lire un bulletin météo, écrire une liste de courses ou comprendre une consigne de sécurité. Le constat dressé en 2013 par l’ISEE, dans sa synthèse, est sans appel : un adulte sur quatre de 16 à 65 ans est en difficulté avec l’écrit, dont 18 % en situation qualifiée de préoccupante. Les jeunes ne sont pas épargnés : 4 000 Calédoniens de 16 à 24 ans seraient aujourd’hui en situation d’illettrisme.
Ces chiffres, issus de l’enquête Information et Vie Quotidienne, révèlent une fracture sociale discrète, mais lourde de conséquences. L’illettrisme, ce n’est pas l’analphabétisme : ce sont des personnes scolarisées, parfois jusqu’au secondaire, mais qui ne maîtrisent pas suffisamment la lecture, l’écriture ou le calcul pour vivre de manière autonome. Les freins sont multiples : scolarité courte, langue maternelle non française, isolement géographique ou désapprentissage avec l’âge.
La situation est particulièrement critique aux Îles Loyauté, où le taux de personnes en grande difficulté dépasse de 12 points celui de la province Sud. Les hommes, les ouvriers et les inactifs sont aussi nettement surreprésentés dans les statistiques. La fracture Est-Ouest, le niveau d’études et l’âge expliquent une large part de ce mal silencieux.
La Croix-Rouge sur le terrain : lire, écrire, revivre
Face à cette urgence sociale, la Croix-Rouge française en Nouvelle-Calédonie agit à l’échelle humaine. Avec son programme d’alphabétisation, elle propose à ceux qui le souhaitent d’apprendre à lire, écrire, compter, dans un cadre bienveillant, gratuit et non stigmatisant. Loin des salles de classe classiques, les bénévoles interviennent en petits groupes ou en accompagnement individuel, avec un seul mot d’ordre : la dignité.
L’initiative ne demande ni diplôme ni expérience pédagogique : les bénévoles sont formés, encadrés, et surtout mobilisés par une volonté simple : redonner confiance.
Agir contre l’illettrisme, c’est ouvrir des portes , résume la Croix-Rouge.
Pour beaucoup de bénéficiaires, il s’agit de retrouver une autonomie, de ne plus dépendre d’un proche pour lire une ordonnance, remplir un formulaire, suivre la scolarité de son enfant.
La Croix-Rouge n’agit pas seule. Elle s’inscrit dans un réseau de partenariats locaux avec des associations, des collectivités, l’Éducation nationale et les services sociaux. Ce maillage est indispensable pour repérer les personnes en difficulté, souvent dissimulées par des stratégies de contournement et une forte honte sociale.
Une mobilisation collective, un enjeu de société
Lutter contre l’illettrisme ne relève pas uniquement de l’associatif. Dès 2009, un comité de pilotage a été mis en place par le gouvernement calédonien. L’étude de l’ISEE a permis de dresser une cartographie précise des publics en difficulté. Trois axes ont été définis :
préventif (via l’école et la formation des enseignants),
correctif (actions ciblées pour les 25–44 ans),
projectif (soutien parental, accès à la culture).
Mais ces efforts restent insuffisants sans une mobilisation citoyenne. La communication sur le sujet, la professionnalisation des formateurs bénévoles, l’évaluation des résultats et la coordination entre acteurs sont autant de défis soulevés dans le rapport de mission confié à Mme Yolande Verlaguet. Le mot d’ordre : faire de la lutte contre l’illettrisme une priorité publique, à l’échelle du pays.
Dans ce combat de fond, la Croix-Rouge française joue un rôle crucial de catalyseur humain et solidaire. En appelant chacun à donner un peu de son temps, elle transforme le fatalisme en action concrète. Car il ne s’agit pas seulement de savoir lire ou écrire.
Il s’agit de vivre pleinement sa citoyenneté, de retrouver une voix, une place, une autonomie.
29 000 Calédoniens illettrés : ce chiffre n’est pas une fatalité. Grâce à des associations comme la Croix-Rouge, des bénévoles engagés et des politiques publiques volontaristes, une autre voie est possible.
Celle de l’inclusion par les mots.