Un grand chef kanak rejette la démocratie, les partis et les compromis. Il assume une vision monarchique, centralisée, fondée sur les chefferies, les clans et la souveraineté coutumière. Un discours choc, entre rupture politique et revanche historique.
Une monarchie coutumière assumée, en rupture avec la République
Invité du journal de l’édition du 19h30 à NC1ère, le grand chef de La Roche à Maré, Hippolite Sinewami, est revenu sur ses déclarations de ces derniers jours et sur sa vision portée sur l’accord de Bougival.
La démocratie ? On a vu ce que ça donne. Nous, on veut un pouvoir coutumier fort. Le ton est donné.
À la tête de l’un des royaumes signataires de la déclaration unilatérale de souveraineté, le grand chef ne cache rien : il rejette les institutions démocratiques, ne croit plus aux compromis et veut restaurer l’autorité absolue des chefferies.
Quarante-quatre royaumes auraient déjà signé cette déclaration, instaurant une autorité parallèle, avec tribunaux traditionnels, police coutumière, gouvernance clanique. Le terme même d’État kanak est revendiqué, mais en rupture avec le modèle occidental : pas d’élections, pas de pluralisme, une hiérarchie coutumière centrale, appuyée sur les clans.
Ce projet, qualifié de « retour aux racines », s’attaque aux fondements mêmes du modèle républicain calédonien. Il ambitionne de réorganiser l’ensemble du territoire, en imposant des logiques foncières et coutumières au-dessus du droit commun.
Le discours est clair : l’identité kanak passe avant la cohabitation communautaire, avant l’économie, avant le dialogue. Il ne s’agit plus de « rééquilibrage », mais d’un changement de régime.
Décolonisation, terres, chefferies : la revanche des clans déplacés
Derrière ce discours radical, une revendication historique ressurgit : les clans déplacés par la colonisation. Selon le grand chef, avant tout projet politique, il faut régler « la dette coloniale » : rendre les terres, redessiner les chefferies, réparer les humiliations d’hier.
Pour lui, la décolonisation n’est pas un processus juridique ou administratif. C’est une reconstruction identitaire, une réinstallation symbolique des puissances traditionnelles. Et cela ne peut se faire qu’avec l’État français.
L’histoire se passe avec la colonisation. On est en train de décoloniser. Et c’est à la France qu’on doit parler, insiste-t-il.
Mais la parole est à sens unique : pas d’ouverture à ceux qui contestent le projet, même à l’intérieur du monde kanak. Les loyalistes kanak sont marginalisés, interdits de déplacement à Maré, dans un geste politique controversé.
Ce n’est pas une atteinte à la liberté d’expression, répond-il. Mais les blessures sont trop récentes. Des familles n’ont pas fait leur deuil.
L’interdiction vise donc les signataires loyalistes de l’accord, responsables selon lui de la révolte de 2024.
Les déclarations des clans de Maré ont fait bondir le représentant de l’État, qui, dans un communiqué de presse diffusé ce mercredi 6 août, a rappelé que les libertés fondamentales ne sont pas que des notions philosophiques, mais bien une réalité démocratique, et qu’il fera tout pour les faire respecter, jusqu’à sanctionner toute autorité qui les piétinerait.
L’internationale des peuples autochtones… via l’Azerbaïdjan
Pour renforcer ce projet de souveraineté coutumière, les signataires ont adhéré au Groupe d’initiative de Bakou, un organisme international lié à l’Azerbaïdjan. Une décision qui interroge, tant le régime de Bakou est dénoncé pour ses atteintes aux droits de l’homme.
Mais là encore, le chef assume :
On ne travaille pas avec l’Azerbaïdjan, mais avec une structure qui soutient les peuples en décolonisation.
Objectif : porter le projet kanak à l’international, en contournant les blocages institutionnels. L’ONU n’ayant jamais reconnu la déclaration unilatérale, l’axe de Bakou représente une stratégie d’escalade diplomatique, dans un face-à-face de plus en plus tendu avec Paris.
Le paradoxe est criant : d’un côté, les chefs revendiquent l’accompagnement de l’État français dans le processus de décolonisation ; de l’autre, ils s’en remettent à un réseau autoritaire et contesté, pour faire avancer leur cause. La rupture semble de plus en plus idéologique.
Ce n’est pas seulement un projet politique, mais une refondation civilisationnelle, reposant sur la primauté des traditions, la fermeture à la démocratie, et la création d’un État monarchique coutumier.
Le discours du grand chef marque une radicalisation sans précédent. En refusant la démocratie, en promouvant une monarchie clanique, il propose un autre avenir pour la Kanaky : hors des institutions républicaines, hors des accords, et même hors du droit français.
Le projet soulève des questions majeures : peut-on restaurer une souveraineté autochtone sans sombrer dans l’autoritarisme ? Peut-on effacer les crimes de la colonisation sans rejeter les valeurs démocratiques ?
Le choix est posé. Et il ne fait aucun doute : le grand chef veut régner, et non gouverner.