La Chambre territoriale des comptes a livré un rapport sans détour sur le Conservatoire artistique de Polynésie française. Entre opacité, dérives financières et dépendance excessive aux subventions, le constat est sévère.
Un établissement sous perfusion publique mais sans reconnaissance nationale
Le Conservatoire artistique de Polynésie française (CAPF), créé en 1979, occupe une place centrale dans la vie culturelle du territoire. Il accueille environ 1 850 élèves et emploie 18 agents administratifs ainsi que 59 enseignants, dont 23 prestataires. Sa mission : l’enseignement artistique et la promotion du patrimoine culturel, notamment à travers une vingtaine de spectacles par an rassemblant plus de 12 000 spectateurs.
Mais derrière cette vitrine, la réalité est moins reluisante. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes révèle que l’établissement est financé à 67 % par la collectivité, soit près de 275 millions F CFP chaque année. Ce budget représente entre 17 et 20 % de l’effort culturel de la Polynésie française. Résultat : un coût annuel supérieur à 209 000 F CFP par élèves, alors que les tarifs pratiqués sont trois fois inférieurs à ceux du marché. Autrement dit, un établissement largement subventionné qui évolue dans un secteur pourtant concurrentiel.
Depuis la perte de son label national de conservatoire départemental, les diplômes délivrés ne sont plus reconnus en France ni en Europe. Les élèves ne bénéficient donc plus de la même valeur ajoutée que dans d’autres conservatoires. Le CAPF est réduit à une école artistique locale, malgré ses ambitions. La Chambre insiste : seule une démarche partenariale avec un établissement labellisé pourra offrir un avenir diplômant crédible aux étudiants.
Gestion approximative et dérives coûteuses
Le rapport pointe un contrôle interne embryonnaire, incapable d’assurer une gestion fiable des effectifs ou des heures de cours. Le conservatoire est incapable d’établir avec exactitude le nombre d’élèves inscrits ou d’heures réellement assurées par ses enseignants. Conséquence : certains professeurs seraient rémunérés pour des heures non assurées.
Autre dérive : l’extension abusive d’un régime dérogatoire sur le temps de travail. Alors que la règle polynésienne prévoit 39 heures par semaine et cinq semaines de congés, l’ensemble du corps enseignant bénéficie d’avantages particuliers entraînant un surcoût annuel estimé à 113,9 millions F CFP. Un luxe payé intégralement par le contribuable.
Sur le plan financier, la situation est fragile. Malgré une relative stabilité des charges, les produits d’exploitation varient fortement, entraînant des déficits réguliers. La trésorerie est sous tension, avec des prélèvements sur le fonds de roulement pour couvrir les pertes. À cela s’ajoute une gestion calamiteuse des recettes scolaires : absence de suivi des impayés, incohérences entre facturation et comptabilité, écarts inexpliqués allant de 3,7 à 10,7 millions F CFP par an. Certains abandons de créances sont même jugés irréguliers par la Chambre.
La gouvernance est elle aussi critiquée. L’établissement, très encadré par la tutelle politique, souffre d’un manque d’autonomie et d’un projet d’établissement inachevé. Les missions de responsables pédagogiques prévues par le règlement intérieur ne sont pas mises en œuvre. Résultat : une organisation administrative lourde et inefficace.
Entre valorisation culturelle et nécessité de réformes
Le CAPF revendique sa spécificité : une offre unique en arts traditionnels polynésiens (danse, chants, percussions, orero), qui représente 58 % des effectifs. Cette orientation répond à une volonté légitime de préserver l’identité culturelle et la langue tahitienne. Le développement des classes à horaires aménagés en milieu scolaire (CHAM et CHAD) a renforcé cette dynamique : en 2024, 50 % des élèves étaient inscrits via ces dispositifs, contre seulement 23 % cinq ans plus tôt.
Mais cette évolution s’est faite au détriment des sections classiques, qui connaissent une forte baisse d’effectifs. La Chambre invite le CAPF à analyser les raisons de cette perte d’attractivité et à renforcer la complémentarité entre arts traditionnels, classiques et arts de la scène.
Elle recommande aussi de mieux démocratiser l’accès à l’enseignement artistique. En effet, 72 % des élèves viennent de familles de cadres, professions libérales ou intermédiaires. L’absence de politique tarifaire sociale aggrave cette sélectivité. L’établissement reste concentré sur l’aire urbaine de Papeete, sans réel maillage territorial.
Pour redresser la barre, la Chambre a formulé 12 recommandations :
établir un partenariat avec un conservatoire labellisé d’ici fin 2025 ;
mettre à jour les statuts et formaliser un projet d’établissement ;
instaurer une politique tarifaire tenant compte de critères sociaux dès 2026 ;
fiabiliser la base élèves et renforcer le contrôle interne ;
respecter strictement les règles de gestion d’une régie et assainir la comptabilité.
Avec 12 recommandations fermes, la Chambre des comptes met le CAPF face à ses responsabilités. Dans un contexte où chaque franc public doit être justifié, l’exigence de rigueur et de transparence n’est pas une option mais une obligation. La Polynésie ne peut tolérer qu’un établissement aussi emblématique fonctionne dans une opacité coûteuse. C’est une question de respect pour les élèves, mais surtout pour les contribuables.