Un choix d’Empire, un geste fondateur. Le 24 septembre 1853, la France décidait de s’ancrer dans le Pacifique, traçant une histoire qui résonne encore aujourd’hui.
Une prise de possession au nom de Napoléon III
Le 24 septembre 1853, l’amiral Auguste Febvrier-Despointes hissa le drapeau tricolore à Balade, au nord de la Grande Terre. Il obéissait aux ordres de Napoléon III, qui voulait assurer à la France un point d’appui stratégique dans le Pacifique. En ce temps-là, la Grande-Bretagne dominait la région et installait ses colons en Australie. Paris ne pouvait rester en retrait.
Cet acte n’était pas improvisé. Depuis plusieurs décennies, la Nouvelle-Calédonie attirait les regards des navigateurs européens. Découverte en 1774 par James Cook, qui la baptisa Caledonia en hommage à l’Écosse, elle fut ensuite parcourue par des explorateurs français prestigieux : La Pérouse en 1788, Bruny d’Entrecasteaux en 1792, puis Dumont d’Urville en 1827. Tous avaient reconnu une terre riche, stratégique, encore inorganisée.
Lorsque l’amiral Despointes prend possession du territoire, il ne fait pas qu’exécuter un ordre. Il inscrit la France dans une histoire impériale assumée, au moment même où l’Empire reconstruisait son prestige après les humiliations du traité de Paris de 1763. La décision de Napoléon III est claire : la Nouvelle-Calédonie doit devenir une colonie française durable, à la différence de tant d’escales éphémères du Pacifique.
De Port-de-France à Nouméa : la fondation d’une capitale
À peine Despointes reparti, c’est le capitaine de vaisseau Tardy de Montravel qui organise les débuts de la colonie. En 1854, il fonde Port-de-France, future capitale du territoire. Rebaptisée Nouméa en 1866, elle devient rapidement le cœur politique et administratif de la colonie.
À l’époque, la présence européenne en Nouvelle-Calédonie était encore dispersée et souvent chaotique. Des trafiquants anglais, des chasseurs de baleines et des aventuriers plus ou moins brigands avaient déjà pris pied dans l’archipel : Richards à Hienghène en 1843, Paddon à l’île Nou en 1851. L’autorité française met progressivement fin à cet état d’anarchie et installe une puissance organisée.
En parallèle, les missions chrétiennes avaient déjà commencé leur œuvre. Les protestants de la London Missionary Society s’étaient établis à Maré et à l’île des Pins dès 1840. Les catholiques, menés par Monseigneur Douarre, les suivirent en 1843 à Balade. Ces pionniers, souvent rivaux, préparaient malgré eux l’arrivée d’une autorité politique française, seule capable de stabiliser la situation.
Avec la création d’une capitale, la France affirme clairement sa volonté : la Nouvelle-Calédonie n’est plus une escale passagère, mais une terre destinée à s’inscrire durablement dans l’Empire.
Une mémoire disputée mais une appartenance incontestable
Depuis 1953, le 24 septembre est une journée fériée en Nouvelle-Calédonie, instituée pour le centenaire de la prise de possession. Pour beaucoup de Calédoniens fidèles à la France, cette date symbolise l’ancrage dans la République et l’ouverture sur le monde.
Mais cette mémoire n’est pas unanime. Pour une partie des Kanaks, le 24 septembre reste associé à la colonisation, vécu comme une dépossession. Certains mouvements indépendantistes en ont fait une journée de deuil. Pourtant, les faits historiques sont clairs : la France a pris possession du territoire sans qu’aucune autre puissance ne l’ait revendiqué, et en concluant par la suite des actes de reconnaissance avec plusieurs chefs coutumiers entre 1853 et 1855.
En mai 2018, lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a rappelé cette histoire en remettant officiellement les actes originaux de prise de possession au gouvernement calédonien. Il s’agissait de deux documents fondateurs : celui signé à Balade le 24 septembre 1853, et un autre, moins connu, conclu à l’île des Pins cinq jours plus tard. Des archives qui témoignent du sérieux de l’engagement français.
Aujourd’hui encore, ce débat révèle deux visions. Mais une chose demeure incontestable : depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie est française. La France n’a pas usurpé cette terre, elle l’a intégrée à son histoire et en a fait un pilier de sa présence dans le Pacifique.
Le 24 septembre 1853 ne fut pas seulement un moment matriciel : ce fut l’acte fondateur de la Nouvelle-Calédonie française. De la levée du drapeau à Balade à la fondation de Nouméa, en passant par la consolidation des missions chrétiennes, cette date marque l’entrée du territoire dans l’Histoire nationale.
Certes, la mémoire demeure contrastée. Mais une évidence s’impose : sans l’ancrage français, la Nouvelle-Calédonie aurait été absorbée par d’autres puissances, au premier rang desquelles la Grande-Bretagne. En choisissant d’y établir son drapeau, la France a affirmé son rang dans le Pacifique. Et près de deux siècles plus tard, cet héritage continue d’irriguer le destin du territoire.