En suspendant la réforme des retraites, Sébastien Lecornu opère un virage politique majeur. Mais derrière l’apaisement apparent, la droite voit poindre le spectre d’une alliance nouvelle — celle de la raison contre le chaos.
Un geste d’apaisement… à deux milliards d’euros
C’est l’annonce surprise d’une rentrée parlementaire tendue. Mardi 14 octobre 2025, Sébastien Lecornu a frappé fort devant l’Assemblée nationale : la réforme des retraites de 2023 est suspendue jusqu’à l’élection présidentielle. Pas d’augmentation de l’âge légal, pas de rallongement de la durée d’assurance : tout est gelé jusqu’en janvier 2028. Un soulagement pour certains, une faute budgétaire pour d’autres.
Le coût de cette pause sociale est lourd : 400 millions d’euros (48 milliards de francs CFP) dès 2026, puis 1,8 milliard (216 milliards de francs CFP) en 2027. Un choix que le Premier ministre veut « compenser par des économies », jurant qu’il ne sera pas le Premier ministre du dérapage des comptes publics. Dans le même souffle, il a promis un déficit « inférieur à 5 % du PIB » et la poursuite des baisses d’impôts pour les PME, compensées par une « contribution exceptionnelle » des grandes fortunes.
Un équilibre fragile, mais une main tendue vers le centre et la gauche réformiste. La CFDT salue une victoire démocratique ; la droite, elle, y voit un recul symbolique, presque un renoncement. Dans les rangs des Républicains, certains grincent des dents :
On récompense ceux qui ont crié le plus fort, souffle un député du groupe Droite républicaine.
Le renoncement au 49.3 : rupture ou façade ?
L’autre bombe du discours tient en une phrase :
Je renonce au 49.3.
Pour un exécutif accusé de gouverner à coups de passage en force, l’annonce sonne comme un acte de contrition. Lecornu promet désormais un débat parlementaire « jusqu’au vote », y voyant une rupture démocratique.
Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez, répète-t-il, comme un mantra.
Une promesse d’ouverture qui, en réalité, vise surtout à désamorcer la censure. Le Parti socialiste, divisé, hésite à faire tomber le gouvernement. Olivier Faure et Boris Vallaud conditionnaient leur soutien à une suspension des retraites : ils ont été servis. Les socialistes ne censureront pas, « par pari risqué », dit Vallaud.
Mais à droite, la méfiance domine. Laurent Wauquiez, chef de file de Droite républicaine, salue « un signal fort », mais avertit :
La main tendue n’efface pas les erreurs passées.
Dans l’ombre, Éric Ciotti avance ses pions : il appelle à une alliance des droites, estimant que « le macronisme doit être éteint » et que la gauche « doit être repoussée ».
Nouvelle-Calédonie, décentralisation, souveraineté : les marqueurs d’une droite républicaine
Sébastien Lecornu a clos sa déclaration sur une note plus institutionnelle, évoquant la Nouvelle-Calédonie et la décentralisation. Il promet un « acte III de la décentralisation », non plus fondé sur le transfert de compétences, mais sur le transfert de responsabilités — un discours rare depuis vingt ans.
Sur la Nouvelle-Calédonie, il a salué l’accord de Bougival comme « un chemin de réconciliation » à inscrire dans la Constitution avant la fin de l’année. Un calendrier précis : consultation des Calédoniens au printemps 2026. Dans un contexte encore marqué par les violences de mai 2024, la stabilité institutionnelle est devenue un enjeu national que Lecornu semble décidé à sécuriser.
Le Premier ministre a également évoqué une « contribution exceptionnelle des grandes fortunes », fléchée vers les investissements d’avenir — une fiscalité patriotique selon lui, un tournant colbertiste selon ses soutiens. L’idée séduit la droite modérée, irritée par la dérive libérale d’Emmanuel Macron.
Au fond, Lecornu trace la feuille de route d’un gaullisme budgétaire : rigueur, ordre, souveraineté. Son discours évoque moins le progressisme macronien que l’héritage de Philippe Séguin ou de Raymond Barre.
Ce mardi d’octobre pourrait bien marquer le vrai début du gouvernement Lecornu. En renonçant au 49.3 et en suspendant une réforme honnie, il gagne un répit à gauche. Mais à droite, la recomposition s’accélère. Les appels de Ciotti en direction de Retailleau, invitant à « unir les droites pour éteindre le macronisme », résonnent désormais plus fort que jamais.
Pour la majorité présidentielle, le pari est risqué : tendre la main à gauche tout en perdant son socle de droite. Lecornu se veut l’homme du compromis, mais la France n’aime pas les demi-mesures. Entre les applaudissements prudents du PS et les sourires crispés de la droite, le Premier ministre joue sa survie politique sur une suspension.
Et, comme souvent sous la Ve République, la vraie question n’est pas celle des retraites, mais celle du pouvoir.