Je me suis levé tôt. Trop tôt pour un samedi.
7 h 30, Anse-Vata, soleil déjà brûlant. J’étais là pour le BNC Beach Sport Festival.
Un nom qui claque. Une ambiance de kermesse.
J’ai vu des tentes blanches, des kakémonos flambant neufs, des stands partout.
Et surtout des gens en polo siglé qui disaient “convivialité” toutes les deux phrases.
J’ai compris qu’on allait passer la journée à faire semblant d’aimer la transpiration.
Le Comité territorial olympique et sportif avait tout prévu :
rugby à toucher, beach volley, karaté, percussions, handball, surf, même du tir à la corde.
Une vraie démonstration du “multisport” calédonien.
Avec, évidemment, la Banque de Nouvelle-Calédonie en sponsor officiel.
Parce qu’entre deux prêts immobiliers, on peut toujours soutenir le sport.
J’ai vu des élus poser pour les caméras, des gamins courir pieds nus,
et un animateur hurler dans le micro :
“Le sport, c’est les valeurs, la famille, le partage !”
Ouais. Et aussi les coups de soleil.
J’ai cherché un peu d’ombre. Rien.
J’ai trouvé une noix de coco à 800 francs.
Elle était tiède. Comme l’enthousiasme général.
Une mère m’a dit : “C’est bien, au moins les enfants bougent.”
J’ai hoché la tête.
J’ai pas osé lui dire que les enfants bougeaient déjà assez à l’école.
Et qu’un week-end sans cri aurait été une vraie victoire sportive.
Les bénévoles avaient la tête rouge.
Certains essayaient de sourire pour les photos.
D’autres rêvaient visiblement d’une clim et d’un salaire.
Mais bon, “c’est pour les valeurs”. Toujours les valeurs.
Plus loin, un type en polo bleu expliquait :
“Cet événement, c’est la promotion du sport pour tous, dans une ambiance conviviale.”
Je me suis demandé si lui aussi devait payer le carburant pour venir.
J’ai rien dit.
Il y avait aussi des initiations au combat,
des enfants qui tapaient dans des sacs de frappe pendant que les parents filmaient.
Des stands de pétanque, de cyclisme, de karaté, et même de handball avec les filles U19.
Elles revenaient des Îles Cook avec une victoire contre les Australiennes.
Mais ça, personne n’écoutait. Le DJ venait de mettre du Magic System.
J’ai croisé un vieux monsieur qui disait :
“Avant, on allait à la plage pour se baigner. Maintenant, il faut s’inscrire sur InLive pour jouer au ballon.”
Je l’ai trouvé lucide.
À côté, une fille faisait des jardins suspendus.
Elle disait que c’était “un retour à soi, à la créativité, à la nature”.
J’ai pensé que le seul retour à soi, ici, c’était celui du sable collé aux jambes.
Entre deux stands, j’ai entendu parler de Trump et Zelensky,
de retraite suspendue, de Standard & Poor’s qui dégrade la France.
Et moi, j’étais là, coincé entre un atelier de percussions et un tournoi de rugby à toucher.
C’est peut-être ça, le décalage entre le local et le mondial :
eux parlent d’armes et de dettes, nous, de cocotiers et de raquettes.
Plus loin, les fans de drift faisaient rugir les moteurs à Païta.
Ça sentait l’essence et la liberté.
Pendant que nous, sur le sable, on faisait des passes molles avec des ballons en mousse.
J’ai repensé à la championne olympique Sandra Sanchez, en stage à Dumbéa.
Elle disait : “Il faut persévérer. Ne jamais abandonner.”
Facile à dire quand t’as une médaille d’or.
Moins quand t’attends ton tour pour lancer un frisbee sous 33 degrés.
Un animateur a crié :
“Merci à la Banque de Nouvelle-Calédonie, partenaire officiel de vos émotions sportives !”
Je me suis demandé si ma banque pouvait aussi être partenaire de mon découvert.
Mais bon.
À la fin, tout le monde avait le sourire.
Les élus pour les photos.
Les enfants pour la glace.
Les parents parce que c’était fini.
Sur le chemin du retour, j’ai vu la mer.
Elle était calme, bleue, parfaite.
J’ai compris que le vrai sport, ici, c’était de rester calme dans le bruit,
et d’essayer d’y croire encore un peu.
Bref.