C’est une image historique, une tranche de silicium signée TSMC et Nvidia, gravée à Phoenix, en Arizona. La première puce Blackwell « made in USA » vient de voir le jour, symbolisant bien plus qu’une prouesse technologique. Pour Taiwan, c’est un tournant stratégique majeur, entre réussite industrielle et fragilité géopolitique.
L’Arizona, nouveau front de la guerre des semi-conducteurs
L’annonce a été faite le 17 octobre par Axios et Reuters : Nvidia et Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) ont finalisé la première tranche de puces Blackwell produite sur le sol américain. C’est à Phoenix, dans l’usine flambant neuve de TSMC, que cette wafer historique a été gravée. Elle servira à la production de processeurs IA ultra-puissants destinés aux prochains supercalculateurs Nvidia.
Cette initiative illustre la relocalisation stratégique de l’industrie des semi-conducteurs voulue par les États-Unis. L’objectif : réduire la dépendance vis-à-vis de l’Asie, et plus particulièrement de Taiwan, qui fournit à elle seule plus de 90 % des puces les plus avancées de la planète.
Le CHIPS Act, plan d’investissement américain de plus de 50 milliards de dollars, pousse les géants du secteur à rapatrier la production sur le territoire américain.
Pour TSMC, ce partenariat avec Nvidia marque donc une première victoire symbolique, mais il soulève aussi de nouvelles questions :
à quel prix Taiwan peut-elle exporter son savoir-faire ? Et que devient le fameux « Silicon Shield » qui protégeait jusque-là l’île ?
Taiwan, entre vitrine technologique et fragilité politique
Depuis trente ans, TSMC est le joyau de l’économie taiwanaise. Le groupe pèse près de 15 % du PIB national, emploie plus de 60 000 personnes, et fabrique les processeurs les plus fins du monde indispensables à l’intelligence artificielle, aux voitures électriques et à la défense. Grâce à TSMC, Taiwan est devenue une superpuissance technologique, indispensable à la planète entière.
Mais cette dépendance mondiale est aussi une faiblesse. Le « Silicon Shield », cette idée selon laquelle le monde ne laisserait jamais tomber Taiwan car il a besoin de ses puces, montre ses limites. En multipliant les usines à l’étranger Arizona, Japon, Allemagne TSMC répond à la demande des États-Unis, mais affaiblit la centralité industrielle de l’île. Plus la production s’internationalise, plus Taiwan risque de perdre son levier diplomatique.
C’est le dilemme du moment, produire à l’étranger pour rassurer les alliés ou concentrer la production à Taiwan pour conserver le contrôle technologique.
Le prix de la souveraineté industrielle
Pour Washington, cette première wafer est un succès politique.
Elle prouve que les États-Unis peuvent redevenir un acteur de la micro-électronique avancée, après avoir laissé le leadership à l’Asie pendant des décennies.
Mais pour TSMC, le défi est colossal : reproduire à l’étranger un écosystème d’une complexité extrême, où chaque maillon ingénieurs, fournisseurs, sous-traitants repose sur des décennies de savoir-faire concentré à Hsinchu.
Les experts parlent déjà d’un pari à double tranchant. D’un côté, TSMC renforce sa résilience face à une éventuelle crise dans le détroit de Taiwan.
De l’autre, elle dilue son avantage stratégique et augmente ses coûts d’exploitation. Le président Mark Liu le reconnaissait récemment : produire en Arizona coûte jusqu’à 50 % plus cher qu’à Taiwan.
Dans le contexte de tensions avec Pékin, cette dépendance accrue aux décisions américaines interroge.
TSMC devient l’un des instruments les plus puissants de la diplomatie taiwanaise, mais aussi l’un des plus exposés.
Le futur de Taiwan se joue sur une tranche de silicium
Cette première puce Blackwell « made in USA » n’est qu’un début, selon Nvidia. Mais elle consacre une bascule historique : la dé-taïwanisation progressive de la production de pointe. Pour l’économie taiwanaise, cela signifie à terme moins de rente technologique et plus de dépendance géopolitique.Reste une vérité simple : sans TSMC, ni Nvidia, ni Apple, ni Intel ne pourraient concevoir leurs produits les plus avancés. Taiwan reste donc, pour l’instant, le cœur battant du monde numérique.
Mais ce cœur, désormais, bat aussi en Arizona.