Paris s’apprête à trancher sur l’avenir institutionnel d’un territoire sous tension. À l’Assemblée nationale, la question calédonienne revient au cœur du débat républicain.
Le gouvernement veut donner du temps au dialogue
C’est ce lundi 20 octobre 2025, à 16 h 30, que la commission des lois de l’Assemblée nationale entame l’examen de la proposition de loi organique n° 1969, adoptée par le Sénat le 15 octobre.
Le texte, porté par le député Philippe Gosselin (LR), vise à repousser le renouvellement du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie.
Objectif : permettre la poursuite de la discussion sur l’accord du 12 juillet 2025, dit accord de Bougival, censé ouvrir une nouvelle ère institutionnelle.
Après deux reports déjà validés par le Conseil constitutionnel en 2024, ce troisième délai, jusqu’au 28 juin 2026, illustre la volonté de Paris de préserver la stabilité du territoire, meurtri par les violences de mai 2024.
Le Conseil d’État, dans son avis du 4 septembre 2025, a estimé ce report conforme à « l’intérêt général » et à la « périodicité raisonnable du suffrage ».
En clair, il s’agit de gagner du temps sans rompre le fil démocratique.
Un pari délicat mais nécessaire, selon le rapporteur :
La Nouvelle-Calédonie doit sortir de la confrontation pour revenir au débat politique, plaide Philippe Gosselin.
Une prorogation des mandats pour éviter le vide institutionnel
Le texte prolonge mécaniquement les mandats actuels des élus provinciaux et du Congrès jusqu’à la tenue des prochaines élections.
Les fonctions des membres du bureau, de la commission permanente et des commissions intérieures seront, elles aussi, maintenues jusqu’à la première réunion du nouveau Congrès.
Cette continuité n’est pas anodine : la présidente du Congrès, Veylma Falaeo (Éveil océanien), conservera donc ses fonctions, tout comme les questeurs et vice-présidents.
Le législateur a choisi la stabilité plutôt que la rupture, dans un contexte où les institutions locales restent fragiles, et où tout renouvellement prématuré pourrait rallumer des tensions internes.
Le précédent de novembre 2024 a servi de modèle : déjà à l’époque, un consensus transpartisan avait plaidé pour éviter une recomposition institutionnelle en pleine crise.
Cette fois encore, la logique prévaut : pas de remise à zéro avant d’avoir clarifié l’avenir politique du territoire.
Autrement dit, mieux vaut un Congrès prolongé qu’un Congrès paralysé.
Le corps électoral, enjeu central du futur scrutin
Derrière la technique juridique, c’est bien la composition du corps électoral qui cristallise les débats.
Le texte prévoit la mise à jour de la liste électorale spéciale provinciale dix jours avant le scrutin, conformément aux articles 188 et 189 de la loi organique de 1999.
Mais tout dépendra de la mise en œuvre effective de l’accord de Bougival.
Cet accord, signé le 12 juillet 2025, prévoit un assouplissement du corps électoral, ouvrant la participation aux Calédoniens nés sur le territoire ou y résidant depuis plus de quinze ans.
Une évolution que les indépendantistes radicalisés du FLNKS (UC, Parti travailliste, MNIS, MOU, DUS) redoutent, y voyant un risque de « dénaturation du vote local », tandis que les loyalistes y voient un retour à la démocratie pleine et entière.
Le rapport du Sénat a d’ailleurs modifié le titre du texte pour préciser qu’il s’agissait de « poursuivre la discussion » sur l’accord du 12 juillet, signe d’un réalisme politique assumé : rien n’est encore acté, mais la France entend rester maîtresse du tempo.
Si le Sénat a adopté la proposition sans heurts, l’examen en séance publique, ce mercredi 22 octobre à 14 h, s’annonce plus houleux.
Les groupes de gauche dénoncent un texte qui « dépossède les Calédoniens de leur calendrier électoral », tandis que la « majorité » et la droite parlementaire défendent « un acte de responsabilité nationale ».
Ce troisième report des élections provinciales, présenté comme technique, a en réalité une portée politique majeure : il repousse l’échéance démocratique pour permettre à la République de reprendre la main sur le calendrier institutionnel et donner au dialogue politique une dernière chance de produire un accord solide et durable.
Entre intérêt général, maintien de l’ordre et souveraineté nationale, la France trace une ligne de fermeté lucide.
Dans un territoire encore fracturé, le temps du dialogue s’impose comme le dernier rempart avant le chaos.
Et à Paris, l’Assemblée nationale s’apprête à le graver dans le marbre de la loi.