Le ton est grave, le verbe tranchant. Dans une lettre ouverte datée du 21 octobre 2025, le mouvement Uc-FLNKS et Nationalistes interpelle directement le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En cause : une politique jugée « néocoloniale », contraire aux promesses de reconstruction et de justice sociale formulées après les crises du Covid-19 et des émeutes de 2024. Pour ses signataires, la majorité actuelle a trahi ses engagements en optant pour une gestion libérale et centralisée, au détriment des Calédoniens les plus modestes.
L’après-Mapou : une rupture de cap assumée
La lettre rappelle d’abord le contexte : la chute du gouvernement Louis Mapou fin 2024, justifiée à l’époque par un manque de pilotage économique et une prétendue lenteur dans la mise en œuvre du Plan S2R (Sauvegarde, Redressement et Reconstruction).
Un an plus tard, l’opposition dresse un constat sévère :
Vous aviez promis de reconstruire ; vous administrez désormais l’austérité
Selon les auteurs, la nouvelle majorité aurait « restauré la verticalité du pouvoir » et renoué avec une dépendance à l’État français, rompant ainsi avec la volonté de souveraineté économique et sociale portée par le plan de 2024-2029.
Là où il fallait refonder, vous avez improvisé ; là où il fallait protéger, vous avez ponctionné
Le Plan S2R abandonné : la reconstruction remplacée par la rigueur
Dans sa deuxième partie, la lettre accuse l’exécutif actuel d’avoir tourné le dos à l’esprit du Plan S2R, qui reposait sur la solidarité et la planification.
Ce plan, complémentaire au Plan 2024-2029 adopté par le Congrès, visait la relance économique et la reconquête industrielle. Mais, selon ses détracteurs, « le gouvernement n’a repris ni l’esprit ni la méthode » de ce projet collectif.
Les réformes engagées sont qualifiées de simples « réformettes » sans vision d’ensemble. Le texte dénonce une mise sous tutelle financière de fait par l’État, et un renoncement à la souveraineté budgétaire du territoire.
Le diagnostic est implacable :
Ce gouvernement administre l’austérité et la dépendance
Des choix budgétaires jugés “antisociaux”
La charge la plus virulente concerne la ventilation 2025 de la taxe générale sur la consommation (TGC).
Les signataires critiquent une répartition « inéquitable » des fonds publics, pointant du doigt l’allocation massive de crédits à des structures étatiques (ASS-NC, ADANC, PANC, ARDC-NC) au détriment des dispositifs sociaux directs.
Ils fustigent une hiérarchie des priorités qui « tourne le dos aux vraies attentes des Calédoniens ».
Vos économies, vous les avez faites sur le dos des classes moyennes et des familles les plus défavorisées
En supprimant la réduction redistributive de l’IRPP, en diminuant les allocations logement et familiales, et en restreignant la prise en charge du Ruamm, le gouvernement aurait aggravé la fracture sociale.
L’opposition parle sans détour de “braquage social” :
L’État se rembourse, les entreprises se réorganisent, et les Calédoniens, eux, paient la note
Une gouvernance recentralisée et contestée
Enfin, le mouvement reproche au président du gouvernement d’avoir concentré le pouvoir exécutif, rompant avec la collégialité promise.
En s’appuyant sur Paris pour valider ou appliquer certaines lois, le président aurait trahi l’esprit même du « gouvernement de combat » prôné lors de sa prise de fonction.
Cette centralisation jugée autoritaire viendrait confirmer, selon la lettre, une « dérive néocoloniale » contraire aux intérêts calédoniens.
En demandant la démission du président du 18ᵉ gouvernement, UC-FLNS et Nationalistes tentent d’ouvrir un débat de fond sur la cohérence du projet calédonien.
Au-delà de la polémique politique, cette lettre traduit une inquiétude croissante : celle d’un territoire tiraillé entre la nécessité de réformes et la crainte d’un modèle social sacrifié.
Dans un contexte économique incertain, la question posée reste entière : la Nouvelle-Calédonie peut-elle encore se reconstruire sans rompre avec la dépendance à Paris ?
Mais au-delà du fond, la stratégie de l’opposition interroge. Dans un contexte institutionnel aussi fragile, réclamer la démission du président du gouvernement apparaît comme un geste politique plus symbolique que constructif. Certains y voient une manœuvre risquée, susceptible d’accentuer la paralysie administrative et de détourner l’attention des réformes urgentes à mener. La Nouvelle-Calédonie n’a sans doute pas besoin d’une nouvelle crise politique, mais d’un sursaut collectif. En cherchant à renverser le chef de l’exécutif, les signataires prennent le risque de fragiliser davantage la collégialité et d’alimenter une instabilité dont souffre déjà la population. Autrement dit, la contestation perd en crédibilité lorsqu’elle oublie la responsabilité partagée.