La mer s’impose de nouveau comme un théâtre de rivalités. Le JDD classe les six nations dont les efforts en matière de puissance maritime ont été les plus soutenus au cours des dix dernières années.

En une décennie, l’océan est redevenu le cœur des ambitions internationales. Partout, les flottes vieillissantes ont cédé la place à des programmes pharaoniques, reflets d’un monde plus instable. Les sous-marins incarnent la dissuasion, les frégates la polyvalence, les porte-avions la projection de puissance. Avec des navires de plus en plus numérisés, ceux qui possèdent une flotte la plus moderne ont donc une longueur d’avance sur leurs adversaires. Les chiffres donnent le vertige : des centaines de milliards d’euros cumulés en dix ans, pour ces flottes qui se modernisent à marche forcée.
Au-delà de la technologie, c’est une question de pouvoir : contrôler les mers, c’est contrôler les échanges, les routes énergétiques, les lignes de communication et, in fine, la stabilité mondiale. Le JDD vous propose un classement, selon des estimations, des pays qui ont le plus investi dans leur outil maritime, entre 2015 et 2024, afin de le développer.
6. Allemagne
Berlin souhaite redevenir une puissance militaire, et il n’est pas question de négliger la Deutsche Marine. Pour elle, l’Allemagne a investi environ 10 milliards d’euros entre 2015 et 2025, et devrait en dépenser 30 autres dans les dix prochaines années. Par ailleurs, le budget de défense allemand pour 2025 est de 95 milliards d’euros, avec des prévisions de 162 milliards d’euros d’ici à 2029. Ce virage stratégique a débuté en 2014, après l’annexion de la Crimée, et s’est intensifié après 2022 avec l’agression russe en Ukraine, qui a profondément redéfini les priorités géopolitiques de Berlin. Désormais, le pays s’inscrit dans une volonté de renforcer la position de l’Allemagne au sein de l’Otan et de l’Union européenne.
Côté capacitaire, la marine allemande, longtemps négligée, a vu ses effectifs et ses moyens renforcés. En 2025, elle dispose de 71 navires, dont six sous-marins, et prévoit l’acquisition de nouvelles frégates et corvettes. Le plan « Zielbild Marine 2035+ » vise à se concentrer sur les zones qui relèvent le plus de sa sécurité immédiate et de celle de l’Otan. Dans ce document, datant du 14 mai, la Bundeswehr explique vouloir se focaliser sur la Baltique, la mer du Nord et l’Atlantique Nord. Son objectif est clairement de contrer la menace russe et de sécuriser les voies commerciales transatlantiques.
5. Royaume-Uni
L’Angleterre tente de renouer avec sa tradition maritime. La Royal Navy, autrefois fleuron impérial, sortait affaiblie par des décennies de réductions budgétaires. Londres a décidé de corriger le tir. L’investissement phare est le programme Dreadnought : quatre nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins destinés à remplacer la flotte actuelle, pour un coût total estimé à 36 milliards d’euros, avec une réserve supplémentaire de 12 milliards d’euros en cas de dépassement. À cela s’ajoute la construction de nouvelles frégates de type 26, pour environ 5 milliards d’euros, et l’entretien de ses deux nouveaux porte-avions, Queen Elizabeth et Prince of Wales.
Londres veut conserver une dissuasion nucléaire crédible, une capacité de projection mondiale et un rôle industriel stratégique. Le retour des tensions avec la Russie dans l’Atlantique Nord et en mer de Norvège renforce cette volonté. Ces investissements massifs visent autant à maintenir le rang stratégique du pays qu’à relancer son industrie navale, fragilisée depuis les années 1990. Toutefois, pour retrouver ses lettres de noblesse, la Royal Navy doit faire face à un défi majeur : celui des ressources humaines et des compétences.
4. Japon
Le pays du Soleil-Levant est-il sorti de son long sommeil stratégique ? Puissance navale avancée sur le plan technologique, Tokyo s’était imposé des limites strictes depuis 1945. Mais face à la pression chinoise et aux missiles nord-coréens, le Japon a décidé de rompre avec la retenue. Son budget de défense 2025 atteint un niveau record de 8,7 billions de yens, soit 50 milliards d’euros. Une part importante est destinée à la marine : construction de destroyers à systèmes Aegis (2,3 milliards d’euros pour deux navires), lancement de huit nouveaux sous-marins de la classe Taigei (près de 760 millions d’euros l’unité) et modification de ses porte-hélicoptères Izumo pour accueillir les avions F-35B.
L’Inde envisage de construire un porte-avions à propulsion nucléaire
Avant ce tournant, la Force maritime d’autodéfense japonaise était puissante mais strictement défensive. Aujourd’hui, Tokyo se prépare à une éventuelle confrontation dans le Pacifique occidental. Le Japon, fidèle allié des États-Unis, renforce aussi sa capacité à opérer conjointement avec la marine américaine. Le réarmement naval du pays, inédit depuis la Seconde Guerre mondiale, traduit une prise de conscience : les mers qui entourent l’archipel ne sont plus un espace sûr.
3. Inde
À l’autre extrémité de l’Asie, l’Inde accélère à son tour. Longtemps freinée par des retards industriels et une dépendance aux importations, New Delhi a choisi de faire de sa marine un symbole de souveraineté. Les six sous-marins de type Scorpène, construits avec l’entreprise française Naval Group dans le cadre du projet P75, ont coûté environ 3,5 milliards d’euros. Par ailleurs, alors qu’il semble mis à mal selon la presse indienne, un accord de principe existe entre la France et son allié asiatique pour l’acquisition d’un second lot de trois unités supplémentaires pour près de 3,7 milliards d’euros. À cela s’ajoutent le tout premier porte-avions construit en Inde, l’INS Vikrant, mis en service en 2022, les frégates furtives de classe Nilgiri et le développement de sous-marins nucléaires d’attaque.
Avant cette vague d’investissements, la marine indienne restait un acteur régional de second rang, équipée d’unités hétérogènes et dépendantes des importations russes. Désormais, l’objectif est clair : faire de l’Inde une puissance maritime autonome dans l’océan Indien, capable de contenir la présence chinoise croissante et de protéger ses routes commerciales vitales. Derrière le drapeau flotte aussi le slogan « Make in India », qui marque la volonté de maîtriser la technologie, pas seulement de l’acheter. Pour cela, New Delhi envisage la construction d’un porte-avions à propulsion nucléaire à l’horizon 2050.
2. Chine
La Chine mène depuis dix ans une mutation aussi rapide que spectaculaire. En 2018, l’ancien chef d’état-major de la Marine nationale, Christophe Prazuck, prévenait déjà : « L’investissement naval chinois permet de construire l’équivalent de la Marine française en quatre ans. » Longtemps cantonnée à une flotte côtière, elle possède désormais la marine la plus nombreuse du monde en nombre de bâtiments. Pékin a investi massivement, probablement entre 75 et 150 milliards d’euros sur la décennie, dans une armada de destroyers lourds, de frégates modernes et de sous-marins de nouvelle génération. Ses chantiers d’État, capables de produire simultanément des navires militaires et commerciaux, tournent à plein régime.
Washington a lancé une refonte complète de sa marine
Les croiseurs de type 055, les destroyers de type 052D et les porte-avions Liaoning et Shandong incarnent cette révolution. La Chine en construit un quatrième, doté de catapultes électromagnétiques et de la propulsion nucléaire. Cet effort ne relève pas d’un simple prestige militaire : il s’agit pour Pékin de sécuriser ses voies d’approvisionnement, d’imposer son contrôle sur la mer de Chine méridionale et de dissuader toute intervention autour de Taïwan. La marine chinoise, autrefois défensive, est désormais pensée pour la projection de puissance à l’échelle planétaire.
1. États-Unis
Pour l’US Navy, première puissance navale du globe, l’effort financier ressemble à une reconquête. Après des années de flottement et de retards industriels, Washington a lancé une refonte complète de sa marine. Le Congrès estime qu’il faudrait consacrer chaque année entre 34 et 36 milliards de dollars — environ 32 milliards d’euros — rien que pour le programme de construction navale. En dix ans, cela représente près de 300 milliards d’euros engagés pour entretenir et renouveler une flotte colossale : sous-marins nucléaires, destroyers, frégates et porte-avions. Le projet phare, la classe Columbia, doit remplacer les sous-marins lanceurs d’engins de la classe Ohio.
À lui seul, ce programme représente environ 110 milliards d’euros. Ajoutez la production continue des sous-marins d’attaque Virginia, des destroyers Arleigh Burke et la mise au point des nouvelles frégates Constellation, et c’est tout un arsenal flottant que les chantiers américains réinventent. Le symbole de ce renouveau est le porte-avions USS Gerald R. Ford, considéré comme le plus grand navire militaire du monde avec 333 mètres de longueur. Mis en service en 2017, il devrait être rejoint sept autres sister-ships d’ici 2050. Cette relance navale vise un seul objectif : maintenir la suprématie face à la montée en puissance de la Chine. Dans une ère où Pékin étend ses ambitions maritimes, Washington ne veut pas céder un pouce d’océan.
Télécharger l’application Le Journal du Dimanche pour iPhone, iPad ou Android