Chaque 22 octobre, le monde se souvient que le bégaiement n’est pas une simple hésitation : c’est un trouble de la parole qui affecte la vie de millions de personnes. Cette Journée internationale de sensibilisation au bégaiement (International Stuttering Awareness Day, ISAD) vise à briser les tabous, à informer le public et à soutenir les personnes concernées. Dans un contexte où le discours et l’oral sont au centre de nos sociétés, il est essentiel de comprendre ce trouble, ses mécanismes, et les défis qu’il impose y compris dans des territoires éloignés comme la Nouvelle-Calédonie.
La naissance d’une date symbolique
C’est en 1998 que le 22 octobre a été officiellement désigné comme International Stuttering Awareness Day (ISAD), sur une initiative conjointe de l’International Stuttering Association (ISA), de l’International Fluency Association et de la European League of Stuttering Associations. Cette date coïncide notamment avec la commémoration de George Bernard Shaw, célèbre pour avoir souffert de bégaiement.
Depuis, chaque année, le 22 octobre devient l’occasion mondiale d’actions, de conférences et de campagnes de sensibilisation. L’édition 2025 de la conférence en ligne ISAD se déroulera du 1ᵉʳ au 31 octobre, avec pour thème : « A DIVERSE STUTTERING COMMUNITY – Meeting Challenges With Strengths ».
Trois grands objectifs
Informer et éduquer le grand public sur ce qu’est réellement le bégaiement, ses causes, ses manifestations et les fausses croyances qui l’entourent.
Favoriser l’inclusion des personnes qui bégaient, éviter les discriminations ou moqueries, encourager le respect dans les échanges oraux.
Promouvoir les ressources de soutien, qu’il s’agisse de thérapies, de groupes de parole, d’outils pédagogiques ou d’initiatives communautaires.
Les associations locales, associations de personnes qui bégayent, orthophonistes, praticiens de la parole jouent un rôle de première ligne dans ce mouvement.
Qu’est-ce que le bégaiement ?
Le bégaiement (ou trouble de la fluence de la parole) se manifeste par des répétitions involontaires de sons, de syllabes, des prolongations (ex : “ssssoleil”) ou des blocages, ainsi que par des tensions articulatoires ou des gestes associés. Une personne qui bégaie sait ce qu’elle veut dire, mais la fluidité du discours est perturbée.
Chez les jeunes enfants, ce trouble peut parfois être transitoire : on estime que 75 à 90 % des enfants présentant un début de bégaiement peuvent retrouver une parole fluide avec ou sans intervention orthophonique.
Prévalence, incidence et durées
On estime qu’environ 1 % de la population mondiale bégaie à l’âge adulte. Au cours de la vie, on estime qu’environ 5 % de la population pourra avoir un épisode de bégaiement, même si beaucoup dépasseront ce stade. Une étude classique (Andrews, 1947-1967) a estimé l’incidence à ~4,9 %. Des recherches récentes en neuroimagerie montrent qu’il existe des particularités anatomiques et fonctionnelles : par exemple, certaines zones cérébrales liées au contrôle moteur et à la planification du langage seraient mobilisées différemment chez les personnes qui bégaient.
Enjeux psychologiques et sociaux
Au-delà des aspects purement linguistiques, le bégaiement provoque souvent de l’anxiété, des blocages dans la prise de parole publique, une auto-censure, et peut limiter les opportunités scolaires ou professionnelles. Les discriminations et les moqueries accentuent le sentiment d’isolement.
Obstacles et résistances
Le manque de visibilité locale : dans certaines régions, peu de personnes savent qu’il existe des ressources professionnelles.
Le coût des soins : l’accès à l’orthophonie ou à des programmes spécialisés peut être limité, surtout dans les territoires éloignés.
Les préjugés persistants : encourager les gens à arrêter d’« achever la phrase » d’une personne qui bégaie, à ne pas la presser, à donner le temps de s’exprimer.
Le manque de données locales fiables, ce qui rend difficile l’évaluation des besoins et l’allocation des ressources.
Données et contexte en Nouvelle-Calédonie
Les données spécifiques à la Nouvelle-Calédonie sur l’incidence ou la prévalence du bégaiement sont rares dans la littérature publique. Toutefois, quelques indicateurs institutionnels suggèrent que le bégaiement est pris en compte dans les politiques d’éducation et de soutien aux troubles de la communication.
La Direction de l’Enseignement de la Nouvelle-Calédonie inclut le bégaiement parmi les « troubles de la communication » à considérer dans les dispositifs de soutien scolaire, notamment à l’oral, et propose des supports pédagogiques adaptés.
L’Association Parole/Bégaiement dispose d’une délégation Nouvelle-Calédonie (indicatif 988), ce qui indique une présence locale et des acteurs sensibilisés.
Dans le cadre des barèmes d’incapacité en Nouvelle-Calédonie, le bégaiement est mentionné parmi les « troubles de la communication » susceptibles de provoquer une gêne dans la vie quotidienne ou professionnelle, avec des taux associés de 20 % à 45 % selon les modalités et la gravité.
Ces éléments montrent que les institutions reconnaissent le bégaiement comme un trouble pertinent, mais ils ne donnent pas de chiffres fiables (nombre de personnes, répartition par âge, taux de suivi). Le manque d’études locales est un frein à une politique ciblée.
En Nouvelle-Calédonie, si le terrain est encore peu documenté, il y a un socle de reconnaissance institutionnelle sur lequel bâtir. Le défi now ? Transformer la reconnaissance en actions concrètes : cartographie de la situation, déploiement d’orthophonistes spécialisés, campagnes de sensibilisation, et soutien aux associations locales.
Le 22 octobre, plus qu’une date symbolique, est un appel à l’action. Le bégaiement n’est pas une curiosité linguistique, mais un défi communicationnel concret qui se manifeste au quotidien pour des millions de personnes. Pour que cette journée ne reste pas qu’un slogan, il faut en faire une opportunité : agir dans les écoles, les médias, les lieux publics ; investir dans la formation et l’accès aux soins ; encourager les voix qui bégayent à s’exprimer sans honte.
Chaque mot compte y compris ceux qu’on peine à prononcer.