Les agents publics français sont plus nombreux, mais pas forcément meilleurs. Derrière les 5,8 millions de serviteurs de l’État, un malaise profond persiste : fatigue, bureaucratie, perte de sens.
Un État toujours plus lourd
La France compte désormais 5,8 millions d’agents publics au 31 décembre 2023, selon le rapport annuel 2025 de la DGAFP, soit 63 100 fonctionnaires de plus en un an, une hausse de 1,1 %, bien au-dessus de la moyenne des dix dernières années (+0,6 %).
La fonction publique d’État (FPE) reste majoritaire avec 2,57 millions d’agents (+0,8 %), suivie de la territoriale (FPT) avec 1,99 million (+1 %) et de la fonction publique hospitalière (FPH), championne de la progression : +2 % et 1,24 million de personnels.
En clair, un emploi sur cinq en France relève désormais de la fonction publique. Ce poids, qui oscillait entre 21 % et 21,5 % au début des années 2000, repart à la hausse depuis 2023. Un symbole : l’État, au lieu de se réformer, continue de grossir.
L’explication tient à deux dynamiques : d’abord l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, qui recrutent à tour de bras (+16 600 agents en un an) ; ensuite, le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, dopé par 4 800 emplois supplémentaires. Le seul secteur en recul ? Les Armées, qui perdent 1 500 postes (–0,5 %).
Derrière ces chiffres flatteurs pour Bercy, le contribuable s’interroge : où est le rendement ?
Car si l’emploi public croît plus vite que l’emploi privé, la qualité du service, elle, ne suit pas la même courbe.
Des effectifs pléthoriques, mais fragilisés
Le rapport 2025 le montre : la fonction publique se contracte sur le plan du statut. Les contractuels explosent (+4,9 %), pour atteindre 23 % des agents publics, tandis que la part des fonctionnaires titulaires recule à 65 %. Autrement dit, l’État devient lui-même un employeur précaire.
Cette dérive touche les trois versants :
+5,5 % de contractuels dans la FPE,
+6,2 % dans la FPT,
et encore +1,1 % dans la FPH.
Les fonctionnaires stables disparaissent peu à peu, remplacés par une main-d’œuvre plus flexible, moins formée, souvent épuisée.
Le constat est alarmant : près de huit agents sur dix se déclarent en “bonne santé”, mais le stress, la charge mentale et le désengagement progressent.
Dans la FPH, l’augmentation des effectifs cache un autre drame : les hôpitaux embauchent sans redresser le moral des soignants. Le nombre de médecins grimpe de 3,4 %, mais la fuite des vocations se poursuit.
Le personnel non médical, lui, stagne à +2 %, avec une explosion du recours aux contractuels.
Côté territoriaux, la tendance est identique : les communes stabilisent leurs effectifs, mais les intercommunalités explosent (+2,6 %) : une superstructure administrative de plus, souvent sans efficacité visible.
En bref, plus d’agents, moins d’efficacité, et un modèle qui favorise la masse plutôt que la performance.
Le service public à bout de souffle
Derrière les chiffres techniques, une évidence : le service public français ne va pas mieux.
Les trois versants souffrent d’un malaise généralisé. La formation stagne, la rémunération réelle baisse face à l’inflation, et le sentiment d’utilité s’érode.
Dans la fonction publique d’État, les hausses d’effectifs dans l’Éducation nationale masquent un effondrement de la motivation : près d’un enseignant sur deux songe à quitter le métier d’ici dix ans.
Dans les hôpitaux, les absences pour raisons de santé explosent, conséquence directe du surmenage et de la perte de sens. Les chiffres de la DGAFP sont clairs : les arrêts longs ont doublé depuis 2015.
Les territoires ne sont pas épargnés : les collectivités, désormais hypertrophiées, peinent à recruter des cadres, tandis que la base accumule les tâches administratives sans reconnaissance.
L’esprit de service public s’effiloche, étouffé par une bureaucratie omniprésente et un discours politique souvent déconnecté du réel.
À force de multiplier les postes, l’État nourrit son propre immobilisme. Les réformes se heurtent à la peur de “faire des vagues”, et les administrations se réfugient derrière les statistiques pour masquer leur inefficacité.
Pourtant, ce rapport 2025 le prouve : les Français n’ont jamais autant financé leur fonction publique, sans jamais en percevoir autant les limites.
L’édition 2025 du rapport annuel de la DGAFP dresse un miroir sans fard : un État obèse, des collectivités qui s’étendent, des hôpitaux en tension et des agents qui doutent.
L’urgence n’est plus de recruter, mais de reconstruire un sens collectif : redonner du pouvoir au terrain,
et restaurer la fierté d’être fonctionnaire, au service de la Nation, pas d’un système.
Les chiffres sont là, implacables : 5,8 millions d’agents publics, 23 % de contractuels, 19,9 % de l’emploi national. Mais la vraie question demeure : combien d’entre eux se sentent encore utiles ?
Tant que l’État confondra la croissance des effectifs avec la qualité du service, la fonction publique restera cette géante fatiguée, coûteuse et paralysée.
Une réforme du courage s’impose, pas un énième rapport statistique.















