Deux hommes fichés depuis des années… et pourtant libres de frapper au cœur du patrimoine national.
La France abasourdie découvre l’ampleur d’un casse qui interroge notre capacité à protéger nos trésors.
Une opération millimétrée qui humilie l’État
Dix jours après le casse du Louvre, l’un des plus spectaculaires de l’histoire contemporaine, la République cherche encore à reprendre la main. Les enquêteurs de la BRB et de l’OCBC ont bien interpellé deux suspects samedi soir, au terme d’une chasse à l’homme éprouvante. Mais le constat est glaçant : les bijoux volés, estimés à 88 millions d’euros (10,5 milliards de francs CFP), restent introuvables.
La procureure de Paris, Laure Beccuau, se veut combative. Elle affirme garder l’espoir de voir ces pièces majeures revenir dans les collections nationales. Mais elle concède une vérité implacable : “Les bijoux ne sont pas retrouvés.” Le butin, composé notamment de pièces liées aux reines Hortense et Marie-Amélie ainsi que d’un diadème de l’impératrice Eugénie, est aujourd’hui invendable, trop célèbre, trop documenté. Les malfaiteurs le savent ; le pays espère qu’ils finiront par céder.
Les deux suspects arrêtés, originaires de Seine-Saint-Denis, appartiennent à un profil désormais tristement familier : délinquance chronique, racines locales, mobilités discrètes. L’un, 34 ans, de nationalité algérienne, vivait à Aubervilliers sans activité. L’autre, 39 ans, également de la commune, enchaînait les petits boulots illégaux et les affaires de vol aggravé.
ADN, vidéosurveillance et scooters : la méthode des enquêteurs
Si ces deux hommes sont aujourd’hui devant un juge d’instruction, c’est grâce à un travail technique minutieux. Les policiers ont exploité jusqu’au moindre fragment de preuve laissé derrière eux. Sur un scooter utilisé dans la fuite, de l’ADN. Sur une vitrine fracturée de la galerie Apollon, encore de l’ADN. Sur un bijou abandonné, des traces exploitables. Plus de 150 prélèvements ont été réalisés et 189 scellés constitués, preuve de l’acharnement des équipes mobilisées.
Les enquêteurs ont également reconstruit, minute par minute, l’itinéraire du commando grâce à la vidéosurveillance parisienne. Le dimanche 19 octobre, un camion-élévateur est déposé au pied du Louvre, quai François-Mitterrand. Deux hommes, revêtus de gilets jaunes, montent vers la galerie Apollon, brisent vitrines et fenêtre à la disqueuse. Sept minutes plus tard, ils s’évanouissent dans Paris, à bord de scooters T-Max.
Une opération froide, professionnelle, sans bavure, hormis la couronne d’Eugénie, échappée de leurs mains, retrouvée mais lourdement abîmée. Une pièce qu’il faudra restaurer, si cela est encore possible.
Une délinquance ancrée et un groupe peut-être plus vaste
Les deux mis en cause ont partiellement reconnu les faits. Mais, pour la procureure, il serait naïf de croire que l’affaire se limite à quatre individus. Tout indique au contraire une structure plus large : un commanditaire, des receleurs potentiels, des logisticiens. Les enquêteurs n’excluent rien. Le spectre d’un réseau organisé plane sur le dossier.
Le premier suspect, arrêté à Roissy sans billet retour, tentait de rejoindre l’Algérie. Le second, contrairement à certaines rumeurs, n’était pas en fuite internationale. À chaque prise de parole, la procureure rectifie les fantasmes médiatiques et ramène le récit à des faits vérifiables : pas de complice interne identifié, pas de piste étrangère confirmée, pas de scénario sulfureux. Juste un vol d’une audace sidérante, mené par des délinquants déjà connus et trop peu neutralisés en amont.
Ce point, lourd de sens politique, n’est pas anodin : comment des individus déjà condamnés, placés sous contrôle judiciaire, ont-ils pu frapper au cœur du musée le plus protégé du monde ? Le débat sur la fermeté judiciaire est relancé, aussi brutalement qu’inévitablement.
L’émotion est immense. Au-delà de la traque policière, l’affaire ravive une question essentielle : la France protège-t-elle encore correctement ses trésors ? La présidente du Louvre a demandé un commissariat dans l’enceinte même du musée. Refus catégorique du préfet de police, Patrice Faure, suivi par le ministre de l’Intérieur Laurent Nunez. Le gouvernement refuse de transformer les musées en forteresses.
Pourtant, après une telle humiliation, la tentation sécuritaire s’impose dans le débat public. Le casse du Louvre n’est pas seulement un vol : c’est un coup porté à l’image de la France, à son prestige culturel, à l’autorité de l’État. Et la droite n’a pas tardé à dénoncer une dérive : celle d’une délinquance multirécidiviste, jamais réellement stoppée, qui ose frapper au cœur du sanctuaire national.
Aujourd’hui, une centaine d’enquêteurs travaillent jour et nuit. Les deux suspects sont présentés pour vol en bande organisée et association de malfaiteurs criminelle. Les autres restent dans la nature. Les bijoux aussi.
Et la France attend. Avec impatience. Avec colère. Avec un espoir maigre mais tenace : revoir un jour, dans les vitrines du Louvre, ces joyaux qui racontent son histoire.















