J’ai passé la journée à courir après l’actualité.
J’ai vite compris que l’actualité, elle, ne m’attendrait pas.
J’ai commencé par la Toussaint.
J’ai vu les familles défiler au cimetière comme si c’était la seule tradition qui tenait encore debout.
J’ai regardé les gens déposer des fleurs, laver les tombes, transmettre la mémoire.
J’ai entendu les enfants poser des questions naïves, les adultes répondre comme ils pouvaient.
J’ai repensé à ma propre famille.
J’ai rien dit.
Je suis passé par la messe.
J’ai entendu qu’on devait “ne pas avoir les yeux rivés sur l’horizon terrestre”.
J’ai regardé les gens lever les yeux au ciel.
Moi, j’ai juste regardé ma montre.
Puis j’ai pensé à la ministre qui débarque lundi.
Naïma Moutchou.
Cérémonies, dépôts de gerbes, honneurs militaires.
J’ai compris qu’ici, on aime autant les traditions que les visites officielles.
C’est-à-dire beaucoup, mais surtout quand ça change rien.
Du coup, j’ai continué à lire son programme comme on lit une météo : sans attente.
J’ai vu qu’elle enchaînerait le Sénat coutumier, le gouvernement, les maires, les élus, les acteurs économiques.
J’ai pensé que c’était comme un marathon, mais en tailleur.
J’ai admiré l’endurance.
J’ai pas applaudi.
Et puis j’ai lu l’enquête à Maré.
Un homme, 31 ans, un airbag Takata, une explosion.
J’ai compris que même pour réparer sa voiture, on peut finir sous une procédure pénale.
J’ai trouvé ça absurde.
J’ai soufflé.
J’ai continué.
J’ai entendu le bruit du Blackwood’s Festival.
Du punk, du rock, de l’électro, du vent, pas de pluie.
J’ai imaginé les gens danser devant la vache en bambou qui brûle.
J’ai trouvé ça à la fois bizarre, libre et terriblement calédonien.
Du coup, j’ai souri.
Un peu.
J’ai replongé dans la politique nationale.
Le budget, les cris, la gauche, la droite, le milieu.
La taxe Zucman rejetée.
Les socialistes furieux.
Le RN satisfait.
J’ai compris que tout le monde avait gagné quelque chose :
un argument pour s’engueuler jusqu’à demain.
J’ai refermé l’onglet.
J’ai vu qu’on parlait aussi des “mains rouges” sur le Mémorial de la Shoah.
Condamnations lourdes.
J’ai pensé que, parfois, la justice sait se souvenir.
J’ai tourné la page.
Puis j’ai lu que Nicolas Sarkozy pourrait sortir dans dix jours.
J’ai pensé que certaines portes s’ouvrent plus vite que d’autres.
J’ai rien ajouté.
J’ai vu le Soudan.
J’ai lu les massacres.
J’ai relu les témoignages.
J’ai arrêté de respirer pendant deux secondes.
J’ai compris que la barbarie ne se met jamais en pause.
J’ai changé de sujet parce que sinon, j’éteignais tout.
J’ai lu les polices australiennes saisir des millions de cigarettes illégales.
J’ai pensé qu’on parlait toujours de tabac, mais jamais de respiration.
J’ai trouvé ça ironique.
J’ai pas insisté.
Le sport est arrivé comme un dessert :
PSG, Nice, Monaco, Marseille, des points serrés, des enjeux lourds.
J’ai pris ce que je pouvais.
J’ai laissé le reste.
J’ai terminé avec les jeunes cyclistes calédoniens médaillés.
J’ai senti un petit frisson.
Un truc rare, presque joyeux.
Je l’ai gardé pour plus tard.
Je me suis dit que la journée ressemblait à un inventaire :
du religieux, du politique, du tragique, du festif, du sportif.
Un pays qui respire par à-coups.
Un monde qui ne sait plus s’arrêter.
Moi non plus.
Bref.















