À la veille d’un Black Friday devenu rituel commercial en Nouvelle-Calédonie, les enseignes se préparent à trois jours de remises agressives. Derrière l’affluence attendue et le vernis promotionnel, les commerçants affrontent pourtant une réalité nettement plus sombre : un pouvoir d’achat en berne, un moral au plus bas et une économie locale qui peine à retrouver l’élan d’avant-crise.
Un rendez-vous devenu incontournable malgré la tempête économique
Le Black Friday s’est imposé en quelques années comme un événement majeur du calendrier commercial calédonien. Tous les secteurs, de l’habillement à l’électroménager en passant par l’alimentaire, s’y engagent désormais sans exception. La raison est simple : ces trois jours concentrés offrent une opportunité de dynamiser un mois de novembre souvent poussif et d’anticiper une partie des achats de Noël.
Mais derrière cet engouement, une autre réalité s’impose : les commerçants disposent de moins en moins de stocks, conséquence directe de difficultés de trésorerie qui limitent les commandes. La crise économique a rendu chaque importation risquée, chaque marge fragile, chaque choix commercial stratégique.
Une mécanique commerciale fragilisée par quatre années de récession
Depuis le référendum de 2021, le commerce calédonien traverse une période que beaucoup décrivent comme la plus difficile depuis vingt ans. Chute de fréquentation, ralentissement des achats, climat institutionnel anxiogène, départs massifs de population : tous les signaux convergent vers une contraction sévère du marché.
En deux ans, de nombreuses enseignes ont perdu jusqu’à la moitié de leur chiffre d’affaires. Sur l’année 2025, la tendance moyenne se situe entre –30 % et –40 % par rapport à 2024, déjà mauvaise. L’effet domino est implacable : baisse des marges, gel des embauches, fermetures progressives, fragilisation du tissu commercial dans son ensemble.
Le moral des commerçants s’en ressent. L’absence de visibilité institutionnelle et économique, ajoutée à l’annonce régulière de nouvelles entreprises en difficulté, nourrit un sentiment de précarité généralisée. Beaucoup ne parlent plus de « résilience », mais de survie.
Des consommateurs prudents, un pouvoir d’achat étouffé et des comportements qui changent
Côté clients, la tendance est tout aussi préoccupante. L’incertitude professionnelle, la montée de la précarité, l’angoisse autour des retraites et les départs programmés hors du territoire freinent les achats non essentiels. Les dépenses plaisir s’effacent au profit des besoins stricts.
Les comportements de consommation ont également été bouleversés par les émeutes, les difficultés logistiques dans le Nord et les Îles, ou encore l’affaissement du tourisme. Le secteur alimentaire s’en sort légèrement mieux, porté par les achats de première nécessité. À l’inverse, les biens d’équipement, le textile et les articles de confort enregistrent des reculs drastiques.
Fait révélateur : l’indice des prix du textile a reculé de 17 % en un an, non pas grâce à une embellie économique, mais parce que les soldes et remises se multiplient désormais tout au long de l’année pour écouler des stocks qui stagnent.
Le Black Friday, dernier pari avant un mois de décembre décisif
Si la date du Black Friday n’est pas choisie localement, sa proximité avec Noël reste un avantage. Les enseignes savent que les Calédoniens, malgré les difficultés, tiennent à maintenir la tradition des cadeaux. Pour beaucoup, ce week-end sera l’unique occasion d’acheter des produits neufs à prix réduit avant les fêtes.
Mais les trois jours de remises ne suffiront pas à redresser une année économiquement sinistrée. Le véritable enjeu sera décembre, mois crucial pour rééquilibrer une partie des pertes et aborder 2026 avec un minimum d’air.
Reste que les perspectives demeurent fragiles : effectifs en baisse, départs de population, fermeture annoncée d’entreprises, tension financière de la puissance publique. Les commerçants avancent sans signal positif clair, dans un climat d’incertitude institutionnelle qui pèse autant que la conjoncture économique.
Le Black Friday offrira sans doute un peu d’oxygène à des commerçants qui étouffent. Mais il ne fera pas disparaître la réalité : la consommation s’effrite, la confiance s’effondre et l’économie locale attend toujours un véritable signal de stabilisation politique. Plus qu’une opération commerciale, ce week-end sera un thermomètre de la santé morale des Calédoniens. Reste à savoir s’il marque un sursaut… ou une simple parenthèse avant une année 2026 incertaine.



















