L’icône du cinéma français s’est éteinte, ce 28 décembre, à l’âge de 91 ans. Privée de l’amour d’une mère, B.B. a su combler ce vide en s’imposant aux yeux du monde comme l’actrice la plus convoitée.

Et mes fesses ? Tu les aimes, mes fesses ?
Quand, au printemps 1963, Jean-Luc Godard invente le dialogue de ce qui constituera l’une des scènes les plus iconiques du cinéma mondial, le réalisateur du Mépris ne se contente pas de répondre aux exigences de son producteur voulant Brigitte Bardot nue à l’écran, il saisit tout le paradoxe d’une femme se débattant avec de violents tiraillements intérieurs. Même la femme donnée pour être la plus belle du monde a le droit de douter. Même la star offrant aux paparazzis leur métier sur un plateau d’argent a le droit de manquer de confiance en elle. Même l’actrice, capable de mettre n’importe quel homme dans son lit, a pu souffrir de ne pas être aimée.
Car c’est dans toute cette complexité que le mythe est né. Brigitte Bardot, dont les initiales semblaient déjà vouées à se diffuser comme une traînée de poudre publicitaire, avait manqué du plus important amour. Celui d’une mère. Et, pour combler ce regard qui ne lui sera jamais accordé, l’icône planétaire s’imposera aux yeux du monde entier comme le désir le plus brûlant, le plus convoité, le plus scandaleux depuis l’avènement d’Ève donnant à croquer la pomme à toute une société friande de consumérisme. Ainsi, Dieu créa la femme, pour reprendre le titre du film qui la fit connaître en 1956 sous l’œil du cinéaste Roger Vadim, son premier mari.
Brigitte Bardot, née le 28 septembre 1934 au sein d’une riche famille d’industriels d’obédience catholique – les usines Bardot rachetées depuis par Air Liquide – n’avait pas la préférence de ses parents. La préférée, celle dont on louait la beauté, c’était sa sœur, Marie-Jeanne, dite Mijanou, de quatre ans sa cadette. De cette époque où les lunettes et un appareil dentaire déforment son visage de chat, Brigitte Bardot gardera à jamais une blessure ouverte.
Un épisode restera dans les annales, aussi mémorable que les cris d’une souris pourchassée par le père et qui continueront de hanter les souvenirs de la protectrice du monde animal. Un jour, jouant à cache-cache sous un guéridon, les deux sœurs brisent accidentellement un vase en porcelaine de Chine se trouvant dessus. La sentence sera impitoyable : cinquante coups de ceinture pour la désignée coupable Brigitte. Pour parachever la punition, l’obligation pour l’enfant de sept ans de vouvoyer désormais sa mère, marque d’un rejet dont elle ne se remettra pas. La cadette, elle, sera épargnée des coups de ceinturon.
À 15 ans, j’étais loin d’être belle ! »
Et pourtant, c’est la maudite qui sera présentée à Hélène Lazareff. L’épouse de l’homme de presse Pierre Lazareff, fondatrice du magazine Elle, est une amie de la mère, Anne-Marie Mucel. Les deux femmes ont eu tout le loisir de sympathiser lors des week-ends à Louveciennes, où les Bardot se retrouvent dans le chalet du grand-père paternel. « La campagne, de jolies vacances… Je garde un souvenir merveilleux de Louveciennes. Pendant la guerre, c’était déjà exceptionnel de passer des vacances ailleurs qu’à Paris… Cette propriété appartenait à ma grand-mère paternelle, qui avait fait venir de Norvège un chalet tout en bois. Mes meilleurs souvenirs d’enfance se trouvent là », nous dira Brigitte Bardot, le 28 septembre 2014, au moment de fêter ses 80 ans.
Le 2 mai 1949, Brigitte Bardot fait la couverture du magazine Elle dans un numéro dédié aux relations des jeunes filles avec leur mère : qui peut se douter alors que la maudite incarnera le rêve inabouti d’une mère s’étant rêvé actrice et danseuse, avant de devoir se plier aux usages d’une femme rangée de la grande bourgeoisie du 16e arrondissement de Paris ? Brigitte Bardot a alors 14 ans. La même année, elle va rencontrer celui qui deviendra son premier mari. Roger Vadim, alors assistant du cinéaste Marc Allégret, lui offrira, certes, son premier animal, un cocker noir prénommé Clown. Mais que lui aura-t-il dit pour la séduire, lui demande-t-on en 2014 ? « Il a su me séduire… Mais surtout, j’ai eu de la veine qu’il s’intéresse à une fille comme moi. À l’époque, j’avais 15 ans. J’étais loin d’être belle ! » Et quand on lui demande si c’est l’homme qui a su le mieux la comprendre, elle répondra : « Non, c’est mon grand-père maternel. Je le surnommais le « Boumé. Nous étions très complices. Je l’ai adoré. »
Ils se marient en 1952. Elle a 18 ans, lui six ans de plus. Avec une longueur d’avance, Brigitte Bardot compte déjà plusieurs films à son actif quand son mari lui offre un rôle dans son premier film. Par sa seule présence, Brigitte Bardot lui permet d’obtenir la reconnaissance tant attendue avec ce premier long métrage intitulé Et Dieu… créa la femme. Brigitte Bardot est une vraie muse, celle qui déclenche des carrières comme elle donnera une dizaine d’années plus tard un sacré coup d’allumage à celle de Gainsbourg. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, Brigitte Bardot est un tourbillon, faisant voler en éclats tous les codes en vigueur de la femme au foyer attendant le retour de son homme avec un tricot sur les genoux.
C’est une conquérante, une séductrice, elle prend les hommes et les congédie comme on recracherait un noyau de cerise. Jean-Louis Trintignant, Gilbert Bécaud, Sami Frey, Sacha Distel… S’ils peuvent se le permettre, pourquoi pas elle : les femmes ne sont-elles pas des hommes comme les autres ? Et puis, quand on a été élevé dans le corset strict de la bourgeoisie, on ne se rebelle pas en votant communiste ; on découche derrière l’église. Nous lui demandons alors, toujours pour ses 80 ans : Quand le mythe Bardot a explosé, arriviez-vous à vous faire des copines ? « J’ai toujours eu des amies femmes, mais évidemment pas celles dont je séduisais le mari ou l’amant pendant mes films. Je me souviens d’avoir eu comme amies, à la fin des années 1960, quatre splendides créatures. Je les appelais mes “amazones”. Nous avons fait des ravages à Saint-Tropez. » Son deuxième mariage, en 1959 avec le jeune premier Jacques Charrier, n’y aura pas résisté, malgré la naissance d’un fils, Nicolas, en 1960.
J’ai toujours eu des amies femmes, mais évidemment pas celles dont je séduisais le mari ou l’amant pendant mes films
Brigitte Bardot ne se limite pas dans son rôle de sex-symbol, c’est une femme d’esprit. Certains journalistes l’ont remarqué lors de la promotion du film Rendez-vous à Rio (1954). Extrait de la répartie de la jeune actrice : « Quel est le plus beau jour de votre vie ? – Une nuit. – Quelle est la personnalité que vous admirez le plus ? – Sir Newton. Il a découvert que les corps pouvaient s’attirer. – Pourquoi ne portez-vous pas de rouge à lèvres ? – Ça laisse des traces. » Marilyn peut aller se rhabiller.
En 1967, Brigitte Bardot retrouve Serge Gainsbourg, qu’elle a déjà chanté avec L’Appareil à sous (« Tu n’es qu’un appareil à sou-pirs/Un appareil à sou-rire »), à l’occasion d’un Bardot show, censé être diffusé pour la soirée du 31 décembre. L’homme donné pour être le plus laid du show-business et la femme donnée pour être la plus belle de la planète tombent amoureux. Lors de cette première nuit, elle lui passe commande. Écris-moi la plus belle chanson d’amour au monde, lui demande-t-elle dans son vaste appartement de l’avenue Paul-Doumer, là où elle a accouché sept ans plus tôt de son premier et unique fils, Nicolas Charrier. Serge Gainsbourg fouille dans ses brouillons et, sur une mélodie esquissée pour un film, Les Cœurs verts, lui écrit Je t’aime moi non plus suivi d’Initials BB.
Je t’aime moi non plus, comme cette formule empruntée au peintre Picabia, semble épouser le caractère contradictoire de la star. Malheureusement, sous la pression de son troisième mari, le playboy multimillionnaire Gunter Sachs, après envoi de 10 000 roses par hélicoptère, l’enregistrement sera mis sous séquestre. Il sera réenregistré l’année suivante avec la nouvelle muse de Serge Gainsbourg, Jane Birkin. Mais Brigitte Bardot n’oubliera pas. « Initials B.B. est une des plus belles déclarations d’amour qu’on m’ait faites… », nous dira-t-elle en 2017. Comme elle l’écrira dans ses mémoires à propos de cette courte idylle avec celui qu’elle surnommait Gain-Gain : « Entre nous, c’était bon, c’était bien, c’était nous. » Et qui jouait le rôle de la belle ? Et de la bête ?
En 1973, à l’âge de 38 ans, malgré une filmographie longue comme le bras et une jolie carrière de chanteuse, BB décide de raccrocher les gants. Mais elle n’en a pas fini pour autant. Celle qui a toutes les raisons de détester le monde des hommes pour avoir été exposée comme une vulgaire bête de foire se lance dans la défense des animaux en perdition. Les phoques tout d’abord, lors d’un reportage donné à Paris Match. Puis, à travers une fondation pour laquelle elle se délestera de tout son passé lors d’une vente aux enchères en 1987 pour financer son nouveau combat. Quand on lui demande, pour ses 80 ans, ce qui lui ferait plaisir pour son anniversaire, elle répond : « Que vous deveniez végétarien. » « On va essayer, comme Paul McCartney, qui avant d’arrêter de manger de la viande était amoureux de vous. Est-ce le meilleur moyen pour devenir votre ami ? » « Vous savez, les animaux donnent tout et ne demandent rien. Les hommes, c’est le contraire, ils demandent tout et ne donnent rien. Oui, je suis devenue misanthrope après avoir découvert que la cruauté et la connerie humaines étaient sans limites. »
On ne la connaîtra désormais plus que pour cela, établissant l’une des plus spectaculaires reconversions de carrière, offrant sa notoriété vers une cause qui lui semblait plus juste. Elle n’aura jamais oublié les cris de la souris pourchassée par son père. La souris, c’est elle, traquée jusque dans sa maison de La Madrague, à Saint-Tropez, dont elle préférait retenir la chanson que lui avait écrite son ami Jean-Max Rivière que l’isolement auquel sa notoriété l’avait condamnée.
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