Le gouvernement néo-calédonien ne peut plus fermer les yeux : la solidarité ne suffit pas, il faut des comptes.
La Chambre territoriale des comptes tire la sonnette d’alarme sur la gestion du handicap en Nouvelle-Calédonie.
Une politique du handicap éclatée et sous contrôle imparfait
Le rapport 2025 de la Chambre territoriale des comptes est sans détour : la prise en charge du handicap en Nouvelle-Calédonie demeure éclatée, coûteuse et mal coordonnée. Entre la Nouvelle-Calédonie, les provinces, la CAFAT et les associations, la chaîne administrative ressemble à un labyrinthe où les bénéficiaires peinent à trouver leur place.
Créée en 1979, l’Association calédonienne des handicapés (ACH) est devenue un pilier du médico-social, gérant le centre Billy Soedimann et le foyer Paul Reznik. Pourtant, derrière cette façade d’utilité publique, les magistrats financiers relèvent de graves lacunes de gouvernance et des dérives de gestion.
Depuis 2009, la loi du pays a instauré un régime d’aides handicap et dépendance, géré par la CAFAT et financé par la contribution calédonienne de solidarité. Mais la multiplicité des circuits décisionnels – comité d’organisation sanitaire, conseil du handicap, CAFAT – a généré une complexité qui étouffe les structures.
La Chambre dénonce un système « éclaté et illisible », où la transparence s’efface derrière les lenteurs administratives. Un comble, alors que les dépenses liées au handicap ont explosé, passant de 7,1 à près de 12 milliards F CFP entre 2017 et 2023.
Une association essentielle mais une gouvernance à bout de souffle
L’ACH est une institution incontournable, accueillant près d’une centaine de salariés et 90 bénéficiaires sur le site de Nouville, inauguré en 2023 après plus de dix ans de travaux. Un projet financé à hauteur de 913 millions F CFP, avec un prêt de l’Agence française de développement.
Mais la soutenabilité financière du projet inquiète : selon la Chambre, les prévisions reposent sur des hypothèses « optimistes » et l’association n’a pas obtenu la revalorisation tarifaire demandée, provoquant un manque à gagner évalué à près de 100 millions F CFP par an.
Plus grave encore, les juges dénoncent des pratiques de gestion non conformes : versements irréguliers d’indemnités au président et au vice-président, réunions statutaires non tenues, absence de projet associatif et de rapport annuel.
Le constat est sévère : la gouvernance s’est personnalisée au fil du temps, concentrée autour d’un président historique, Michel Julia, à la tête de l’association depuis 1999.
La Chambre appelle à une professionnalisation urgente de la gestion, à la mise en place d’un véritable contrôle interne et à la fin des pratiques contraires aux statuts.
Une solidarité à bout de souffle, un modèle à repenser
Au-delà de l’ACH, le rapport met en lumière les failles d’un modèle calédonien du handicap où la générosité publique masque les désordres administratifs. Les établissements fonctionnent souvent sans schéma territorial d’organisation sociale, sans inspection annuelle et avec une CAFAT omniprésente mais peu contrôlée.
Résultat : un système à la fois coûteux, désordonné et fragile, où les efforts des familles et des bénévoles compensent les carences de l’État et des collectivités.
L’ACH, malgré sa mission exemplaire, illustre les dérives d’une gouvernance associative non régulée, où le mélange des genres entre bénévolat, salariat et financement public atteint ses limites.
Les juges appellent à un retour à la rigueur républicaine : transparence des comptes, respect du principe de gestion désintéressée, et contrôle effectif des subventions. La création de la Maison calédonienne de l’autonomie, prévue pour 2025, pourrait apporter plus de lisibilité, mais elle ne résoudra rien sans autorité, clarté et responsabilité.
Loin de tout angélisme, le rapport de la Chambre territoriale rappelle une évidence : la solidarité sans rigueur mène au chaos. L’accompagnement du handicap est un devoir national, pas un champ d’expérimentation bureaucratique.
À Nouville, le centre flambant neuf doit être plus qu’un symbole : il doit devenir la preuve qu’en Calédonie, la compassion ne dispense jamais du contrôle.