Le symbole est fort : quand la justice s’efface face à la politique. À Papeete, la décision est tombée : Oscar Temaru échappe à la mise en examen, malgré des propos jugés « inappropriés » par la cour elle-même.
Une décision qui interroge : la politique au-dessus des lois ?
C’est un coup d’arrêt pour le parquet de Papeete. Malgré l’appel de la procureure de la République, la chambre de l’instruction a décidé, ce mardi, de maintenir Oscar Temaru sous le statut de témoin assisté, et non de le mettre en examen.
L’affaire, initiée par Édouard Fritch, visait pourtant des faits précis : des propos tenus par le leader du Tavini Huiraatira lors de la Journée des Nations unies, en octobre 2023, qui évoquaient une « invasion » de métropolitains et un risque de « changement démographique ».
Des mots lourds de sens, dans un contexte tendu entre partisans de l’indépendance et défenseurs de la République. Pourtant, pour la cour d’appel, ces propos n’étaient ni injurieux ni violents et relevaient avant tout d’un discours « politique ».
Autrement dit : la liberté d’expression prime, même quand elle flirte avec la provocation identitaire.
Le parquet, qui réclamait une mise en examen pour provocation à la discrimination en raison de l’origine, de la nation ou de la race, se voit donc désavoué. Une décision qui laisse une impression amère : celle d’une justice frileuse face au poids symbolique du leader indépendantiste.
Des mots “inappropriés” mais “pas injurieux” : le paradoxe polynésien
Rappel des faits. Le 24 octobre 2023, à l’Assemblée de la Polynésie française, Oscar Temaru lâche une série de phrases qui font polémique :
Je n’ai pas peur d’un changement climatique, j’ai plutôt peur d’un changement démographique ;
Est-ce que c’est moi l’étranger ici ? Où est-ce que je suis ? ;
C’est l’invasion de notre pays que je crains.
Des propos qui, pour beaucoup, relèvent d’une rhétorique anti-métropolitaine et jettent de l’huile sur le feu identitaire.
Pourtant, selon la présidente de la cour, ces mots doivent être examinés « sous l’angle politique ». Et même si Temaru, en tant que maire, est chargé d’une mission de service public, il « représente aussi un parti indépendantiste ».
La cour reconnaît que les propos sont « totalement inappropriés et plutôt excessifs », mais considère qu’ils ne visent pas explicitement les popaa ou les farani, les métropolitains. Dès lors, pas de mise en examen. Une ligne fine entre la liberté de parole et la provocation communautaire, que la justice polynésienne a choisi de ne pas franchir.
Cette interprétation, aussi prudente que politique, renforce le sentiment d’impunité d’un homme plusieurs fois condamné pour d’autres affaires, mais toujours prompt à se présenter en victime du « colonialisme judiciaire ».
Quand l’indépendantisme joue sur les mots, la République se tait
Cette décision ne manque pas de faire grincer des dents dans les rangs républicains.
Comment comprendre qu’un élu, reconnu coupable dans d’autres dossiers, puisse évoquer une « invasion » de Français sans conséquence pénale ?
D’autant que la procureure avait pointé le caractère explicitement hostile de cette rhétorique, estimant qu’elle pouvait nourrir un rejet à l’égard des métropolitains installés en Polynésie.
Mais la justice locale, sans doute soucieuse d’éviter une crise institutionnelle, a préféré fermer les yeux. Une décision juridiquement prudente, mais politiquement explosive.
Car elle envoie un signal dangereux : celui d’une République qui tolère l’excès de ses adversaires, tant qu’ils se revendiquent d’un combat « culturel » ou « identitaire ».
Édouard Fritch lui-même, à l’origine de la plainte, avait tenté de calmer le jeu en décembre dernier, demandant à la procureure de ne pas poursuivre Temaru. Une façon de tourner la page… ou de céder à la lassitude.
Mais pour beaucoup, ce nouvel épisode confirme la fragilité de l’autorité de l’État en Polynésie française, où la ligne entre militantisme et provocation semble de plus en plus floue.
Au final, Oscar Temaru reste témoin assisté, mais sort renforcé politiquement.
Ses partisans crieront à la victoire de la liberté d’expression ; ses opposants y verront un aveu d’impuissance judiciaire.
Une chose est sûre : quand la République se montre indulgente avec ceux qui la contestent, c’est tout son principe d’unité qui vacille.